Une certitude d’abord, un truc qui frappe et qui saisit tout de suite : Andrea Arnold s’est visiblement (et même totalement, comme hypnotisée, comme envoûtée par lui) très inspirée du travail cinématographique de Philippe Grandrieux (pour ceux qui auront vu les trois œuvres convulsives de ce metteur en scène trop rare, ce sera d’une belle évidence, et on pensera surtout à Sombre et à Un lac, et puis aussi au magnifique Bright star de Jane Campion, dans un autre style) en adaptant librement le classique d’Emily Brontë. Flous caressants, cadres mouvants et ambiances sensorielles, peu de dialogues, pas de musique, travail fort sur les noirs et sur les couleurs, sur les lumières et sur les sons.
C’est toute la grammaire, ce sont tous les programmes stylistiques du cinéma de Grandrieux qui se retrouvent condensés ici en un film charbonneux et audacieux, et que l’on pourra trouver d’une grande modernité (ou au contraire assez vain). L’histoire pérenne, inaltérable, de Catherine et Heathcliff, maintes fois transposée, ressassée jusqu’à la nausée depuis presque un siècle, prend ici des allures de conte tellurique et sensuel, loin des froufrous et des violons habituels, d’un romantisme plat qu’il n’est pratiquement plus possible de voir en pâture. Arnold parvient à traduire le primitif des sentiments, leur animalité brûlante et leur tumulte incessant, largués, lâchés en plein cœur d’une lande hostile à l’image de cet amour absolu et morbide qui, littéralement, se terminera dans la tombe.
Car c’est moins la linéarité de son récit, tout en ruptures et en ellipses (et en même temps très fluide), qui intéresse Arnold que cette fièvre ardente qui pousse, constamment, deux êtres à s’éprendre, à se manquer puis à vouloir se détruire (mais toujours pas amour). Tout en resserrant au maximum l’action et les enjeux du roman (la seconde partie du récit de Brontë, où Heatcliff se venge et devient fou après la mort de Catherine, a été ignorée), Arnold distend inutilement son film (abondance d’inserts et de motifs répétitifs) qui aurait pu, sans peine, être ramené à 1h30 et y trouver ainsi une fulgurance plus rêche, plus envoûtante encore.
C’est comme si Arnold découvrait les arcanes de l’art brut, d’un art libre de toute attache et de toute contrainte, filmant dans un excès d’ivresse l’odeur de la terre et l’impulsion des corps, la nature au travail et l’horizon sauvage pris dans des éclats irisés, des soleils plus vaporeux, et comme si c’était là une découverte essentielle, une épiphanie qui la transportait soudain, en oubliant alors le spectateur au bord du cadre, pas loin d’un ennui qui se révolte (c’est ce qui s’était passé avec Un lac où Grandrieux, trop confiant désormais et trop absorbé par le rendu de son filmage radical, en perdit même ses fidèles). Reste une proposition de cinéma absolue, rare, qui sait saisir à l’arrachée le fracas des passions et des implacables solitudes.
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