Pleine lumière sur le théâtre de la guerre

Ah mais que ça fait du bien de commencer l’année comme cela !
Et dire qu’à cause d'un « Churchill » mou du genou qui est sorti dans les salles seulement quelques mois auparavant j’ai hésité à aller le voir ce film ! Quelle perte ça aurait été !
Pour le coup c’est presque une leçon de cinéma que de comparer les deux œuvres, tant Joe Wright ne fait ici que des choix gagnants par rapport à Jonathan Teplitsky.
Pourtant le sujet à traiter était quand même très complexe et surtout peu aisé à mettre en scène cinématographiquement parlant. Et pour le coup, je trouve que Joe Wright – dont j’ai souvent apprécié les audaces sans forcément apprécier les films – a finalement trouvé en ce vieux lion de Churchill le sujet idéal pour tirer le meilleur de ses partis-pris artistiques.


Parce que oui, moi je trouve qu’il y a toujours eu chez Joe Wright une patte très marquée – un artifice assumé – qu’on retrouve à la fois dans une écriture très théâtrale ainsi que dans une mise en scène toujours très riche en symboles et en signifiances.
Là, pour ce « Churchill », on est en plein dans ça. La Londres politique de 1940 est clairement un théâtre, avec ses scènes où les acteurs viennent se mettre en représentation, avec ses coulisses aussi, mais surtout avec sa surabondance de symboles historiques et politiques enfin.
Ainsi, dès les premières scènes, on rendre dans le royaume du pouvoir de l’image, du mot et de la scénographie.
Ce sont les films de Goebbels qu’on oppose au théâtre de la Chambre des communes.
Ce sont des rituels, des symboles et des ficelles qu’on agite.


Dans cette représentation, Churchill nous est amené comme un monstre sacré mais qu’on se plait à moquer sitôt on nous le présente. Et quand il s’agit de mettre en mouvement le monstre, on n’a pas peur de recourir aux bonnes vieilles ficelles d’une tragédie.
Ainsi, la première intelligence a été de faire de Churchill un personnage en construction et non une icône figée comme ce fut le cas dans le film éponyme de Jonathan Teplitzky.
Bien évidemment quelques mots s’imposent au sujet de Gary Oldman qui incarne parfaitement le personnage. Mais s’il faut récompenser le talent de l’acteur, il ne faut pas oublier non plus la grande intelligence que j’ai trouvée dans l’écriture.
Le personnage se découvre facette par facette. On peine à voir l’icône tant vendue au début du film. On doute. Le personnage semble douter lui aussi. Mais il est bien Churchill. Il a bien ce verbe ; cette capacité à traduire en permanence cet esprit tantôt débonnaire, tantôt déchiré.
Le mot est saillant. Le trait d’esprit souvent drôle. Et quand le moment s’impose de poser du background, on le glisse au détour d’une phrase et jamais au dépend de l’élan général.


Churchill est un personnage académique mais dynamique, et d’ailleurs toute la forme le dit.
Ce gros théâtre de pierres bien lourdes qu’est la scène politique britannique est sans cesse mis en tourbillon ou cuté sèchement par les déboulés tonitruants de ce personnage atypique.
Mais le film n’oublie pas de nous montrer que le personnage est seul. Souvent on le retrouve cloisonné dans une cabine ou dernière une fenêtre. Il est un tourbillon isolé qu’on s’efforce d’enfermer et de contenir en permanence. Il est aussi le seul qui prend la peine de claquer les portes aux discours d’Hitler quand certains ont oublié de les fermer. Il est enfin celui qu’on abandonne soudainement derrière un micro quand les ténèbres s’abattent et que la lumière rouge-sang de la guerre s’allume.


Churchill est sans cesse présenté comme une symbiose improbable entre ancien et nouveau, entre fougue et usure, entre lucidité et folie…
Comme un symbole, la mise en scène générale est elle-même très agressive et enlevée, sachant tantôt user de la musique, tantôt user de dialogues au cordeau pour sans cesse transgresser avec des cadres et une photographie qui traduisent quant à eux le souci de davantage s’appuyer sur le charme et l’efficacité de l’académisme cinématographique. Ainsi n’est-il pas non plus rare de voir des titres ou des dates venir déchirer violemment des compositions très douces ; une typo très moderne et très agressive comme autant de coups de griffes portés par ce lion au beau milieu de ce cadre bien sage.


Au final, le parcours et l’élan du film se révèlent brillants.
Non seulement ils apportent une vision très dynamique et évolutive de ce qui faisait vraiment la singularité de ce personnage ; mais en plus ils apportent un sens très pertinent à la place du mot dans la politique, et de comment ceux qui les maitrisent avec audace sont ceux qui au fond deviennent les vrais monstres sacrés de ce domaine.
C’est efficace de bout en bout. C’est enlevé. S’en est même émouvant, au sens littéral du terme.
Plus d’une fois je me suis trémoussé sur mon siège, emporté par l’élan lyrique que Joe Wright a su insuffler jusqu’au final magistral de son film.


Franchement, je n’ai rien à redire.
Je suis conquis de bout en bout.
La démarche est d’une remarquable cohérence et surtout d’une implacable efficacité.
En somme, chapeau bas monsieur Wright. Je crois que vous venez de signer votre chef d’œuvre, et au passage le chef d’œuvre de tout ce mois de janvier…

Créée

le 18 janv. 2018

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