L'histoire de ce film pourrait être celle d'une putain de fable.
Celle de deux pêcheurs à la ligne qui ferrent le Gros poisson. Comme le dit Gorge Profonde, "il faut y aller pas à pas, pour resserrer l' étreinte..."
Et voilà comment une petite affaire de cambrioleurs minables finit en crise majeure de la grande démocratie des Etats-Unis d'Amérique, prix Pulitzer en prime.
Pakula nous conte l'histoire vraie d'un duo de journalistes incarné par un grand blond un peu blanc-bec, le toujours cool Robert qui demande au ptit brun nerveux Dustin, "il n'y a pas un endroit où tu ne fume pas?" lui répliquant du tac au tac "moi je fais du journalisme depuis mes seize ans".
Celle-ci se situe à la fin d'une époque, celle où les journalistes pratiquaient encore l' investigation de terrain, et où les gens avaient assez de principes, croyaient encore assez dans le système pour leur répondre malgré la peur.( les mêmes aujourd'hui marchanderaient ou vendraient leurs révélation ... )
Leurs armes?
Un téléphone, un calepin, et une machine à écrire qui débite sa mitraille à peine moins vite que le débit de parole de Bernstein ( du moins en version française).
Vu d'aujourd'hui, l'enquête nous parait bien fastidieuse/laborieuse, c'est qu'ils sont opiniâtres nos deux gus qui s'accrochent à leur scoop comme des chiens. D'un fil ils vous dévident la pelote de laine qui dévoile comment Nixon obsédé par sa réélection eut recours à toutes les magouilles imaginables pour couler le camp adverse.
Pour ne pas se perdre dans le foisonnement de détails, de personnes incriminées, une bonne connaissance du contexte, de la vie politique et du système judiciaire à la fois est un plus qui permet d'apprécier à sa juste valeur la véracité de l'enquête, l'exigence quasi sacrée du recoupement, arraché par divers moyens nés de l' imagination de nos compères.
Un film sur le même sujet ancré à notre époque, plutôt que de valoriser le rôle du quatrième pouvoir, nous offrirait le spectacle de Nixon au bout du rouleau, et son entourage gagné par la panique ... Des experts en informatique dans les deux camps se battraient pour effacer/dénicher les preuves sans avoir besoin de lever le cul de leurs chaise... Tout cela finirait dans le cynisme le plus absolu et le secret étouffé.
Deux ou trois choses m'ont particulièrement fait vibrer , ces scènes sur le fil, presque au bord de pleurer ou de craquer, où les témoins livrent, se délivrent du fardeau de ce qu'ils savent. Les scènes avec les deux journalistes féminines valent aussi leur pesant de dialogue et sont finement jouées pour un film dossier.
Du complot, on s'avise qu'il était servi au bas de la chaîne par des bras cassés, des gars qui croyaient bien faire ( "quand vous revenez de la guerre complètement déconnecté et qu'un ami vous appelle pour que vous serviez le président, vous auriez fait quoi à ma place?" ).
La noblesse du film est de ne jamais céder à la facilité, de ne pas lâcher son sujet: deux journalistes qui malgré leur ingéniosité et leur abnégation ne parviendrons pas à remonter jusqu'au deus ex machina du complot. La noblesse de cette époque est que cela aura suffi à faire tomber un colosse de son piédestal, Richard le tricheur, alors que Trump le bateleur est élu grâce aux pires mensonges et avanies qu'il a pu proférer. La presse n'est plus quatrième pouvoir, désormais supplantée par les réseaux sociaux.
La vérité est devenue relative, celle que la majorité veut croire, elle s'écoule comme dans un égout vers une déchéance morale que ce film combattait alors avec vigueur.
L'exigence de Vérité on vous dit. ( Existe-t-elle encore? est une autre histoire...)