Léger et coloré.
Le film reprend souvent l'original de Capra au plan près. Les dialogues, notamment, sont souvent quasiment mot pour mot ceux de l'original. Le dénouement est le même. Il y a cependant des différences...
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le 28 avr. 2020
Je ne vais pas vous parler de Lost Horizon de Frank Capra (très bon film au demeurant mais sur lequel tout a déjà été dit) mais bien sur son remake, réalisé une quarantaine d’années plus tard par Charles Jarrott sous la forme d’une comédie musicale et qui est aujourd’hui une œuvre presque introuvable, victime du très mauvais accueil critique qui avait accompagné sa sortie en 1973. Le regard porté par les critiques et les personnalités du cinéma avait alors été d’une extrême sévérité, qu’on peine à comprendre aujourd’hui en visionnant le long métrage incriminé. « Jarrott lost her reason ! » ironisait-on à Hollywood en un jeu de mots un peu vaseux. La palme de l’attaque acerbe revient sans doute à Woody Allen qui avait confié : « Si je devais revivre ma vie, je referais tout de la même manière, si ce n’est que je n’irais pas revoir le remake de Lost Horizon. »
Tout commence avec une révolte en Chine. Un diplomate britannique, Robert Conway, a la responsabilité d’évacuer les Occidentaux qui se trouvent sur place. Après avoir chargé plusieurs avions de passagers, il monte avec quelques autres personnes dans le dernier avion, qui doit les emmener à Hong Kong. A son bord se trouvent son jeune frère George, Harry, un acteur en mal de notoriété, Sam, un ingénieur (dont on apprendra plus tard qu’il fuit la justice suite à une faillite frauduleuse), et Sally, une journaliste dépressive. Mais le pilote de l’avion n’est pas celui qui était prévu et le vol est détourné dans la direction inverse à celle prévue. Après avoir fait une escale dans un désert pour reprendre du kérosène, l’avion survole le Tibet mais est pris dans une tempête et s’écrase en pleine montagne. A l’exception du pilote tué dans l’accident tout le monde en sort indemne mais les perspectives de survie sont minces à cette altitude dans une zone très éloignée de tout territoire connu. Arrive alors un miracle : un groupe d’hommes, menés par un dénommé Chang (Tibétain ayant fait ses études à Oxford), passe devant l’épave et recueille les survivants, leur proposant de les héberger dans une lamaserie. Celle-ci se trouve dans une vallée perdue dans la montagne, loin du regard des hommes et des rigueurs du climat, joyau verdoyant bénéficiant d’un microclimat paradisiaque : Shangri-la. Les héros découvrent alors une véritable utopie réalisée, une petite société de deux mille êtres humains coexistant en parfaite harmonie dans un décor enchanteur et vivant tous en excellente santé jusqu’à un âge avancé. Le pionnier de la communauté, un missionnaire catholique, le père Perrault, qui se fait appeler ici le Grand Lama, est arrivé ici au XVIIIème siècle et vit toujours, âgé de plus de 200 ans ! « Nous croyons en la modération, leur explique Chang. Éviter tout excès est la vertu première. Notre sévérité est modérée. Nous obtenons une obéissance modérée. Nos gens sont modérément sobres, modérément chastes et modérément honnêtes. » Les rescapés vont devoir s’habituer à la vie locale car le seul lien avec le monde extérieur se trouve dans les rares contacts avec des porteurs dont les visites à Shangri-la sont parfois espacées de plusieurs années. Si Conway se laisse rapidement séduire par cet éden (et par Catherine, l’institutrice de la communauté jouée par Liv Ulmann), ce n’est pas le cas de son jeune frère qui, séduit lui aussi par une femme (Maria, qui paraît avoir vingt ans mais est en vérité âgée d’un siècle), veut à tout prix l’emmener hors de cette parenthèse enchantée et repartir avec elle dans le rude monde « civilisé ».
Si certaines scènes du film de Jarrott reprennent quasiment plan par plan celles du film de Capra il ne s’agit en aucun cas d’un décalque et sa version prend de nombreuses libertés avec son modèle. Cela se joue parfois sur des détails (quelques exemples : Conway demande des avions de secours à Hong Kong dans la première version et à Shanghai dans la seconde, l’avalanche est provoquée par un tir de pistolet des porteurs dans la première version alors qu’elle survient par hasard dans la seconde) mais les variations peuvent aussi être plus importantes. Le personnage du paléontologue mis en scène par Capra est supprimé, remplacé par celui du comédien, avec un tout autre caractère (mauvaise humeur inquiète pour le premier, cabotinage jovial pour le second), débouchant sur la transformation du cours de géologie donné aux enfants de Shangri-la en un cours d’art dramatique. Le personnage de la journaliste dépressive, dont Capra expliquait le fatalisme et le cynisme par le fait qu’elle se savait condamnée par une maladie (elle se réjouissait crument une fois l’avion atterri dans la montagne qu’il n’y ait d’autre alternative que de mourir de faim ou de froid), est simplement présentée comme suicidaire par Jarrott mais sans aucune référence à son état de santé. Il est d’ailleurs indéniable que la psychologie des personnages et les rapports qu’ils entretiennent entre eux sont plus développés chez Capra, comme lors de la dispute entre les deux frères Conway et Maria au sujet de leur projet de fuite, scène dans laquelle l’hypothèse de Shangri-la comme secte est beaucoup plus éloquente que dans la comédie musicale, amenant une ambivalence là où le remake est un peu plus manichéen.
Le contexte politique est plus précis aussi : là où Jarrott se contente de se référer au rôle de Conway aux Nations unies, Capra évoque son poste de Ministre des affaires étrangères et revient plus longuement sur la situation de la Chine en proie aux révoltes. Là où la caméra de Jarrott colle aux pas de ses personnages principaux sans jamais s’en éloigner, Capra se permet des ellipses vers le « monde extérieur » : le parlement britannique, les cabinets ministériels, les rédactions des journaux, les cafés. Si par contre, à la fin du film de Capra, les mésaventures de Conway dans le monde extérieur sont seulement racontées et non pas représentées, elles sont plus riches que dans la version de Jarrott puisqu’ici le héros ne se contente pas de s’évader de l’hôpital où il a été recueilli mais il entame un long voyage à travers l’Inde, vole un avion, est incarcéré, s’évade une nouvelle fois… L’histoire de Shangri-la elle aussi est plus contextualisée chez Capra, qui explique que si la cité est remplie d’œuvres d’art c’est parce que le Grand Lama les a fait transporter ici pour les préserver de la destruction des guerres du monde extérieur, explication qui ne figure pas dans la version de Jarrott. Il en va de même pour la question de l’or : dans le film de Jarrott, l’ingénieur s’enthousiasme en trouvant de l’or dans la rivière ; dans celle de Capra, il est précisé que l’or n’a aucune valeur à Shangri-la mais qu’il est utilisé pour les échanges avec les porteurs venus de l’extérieur. Ironiquement, comme Conway demande à Chang s’il utilise l’or pour acheter des biens, l’autre lui répond qu’il ne s’agit pas d’achat mais d’échanges… « Tout ce qui brille n’est pas or » ajoute plus loin un personnage dans un registre très tolkienesque. La dimension spirituelle et philosophique est plus marquée chez Capra que chez Jarrott, qu’il s’agisse des conversations autour de la longévité ou des références à la sagesse chrétienne.
On peut donc dire en toute honnêteté que le film de Capra l’emporte sur celui de Jarrott sous les aspects suivants : il développe une réflexion plus humaniste (on retrouve un peu le Capra de Monsieur Smith au Sénat), il contextualise beaucoup de choses de façon plus précise, il donne au récit une dimension plus politique, plus philosophique aussi, et il offre une plus grande tension dramatique. Tout cela étant admis, on comprend néanmoins mal ce qui a pu expliquer un tel échec et une telle hostilité de la critique à l’égard du film de Jarrott. S’il est vrai, comme nous venons de le voir, que le remake n’atteint pas la qualité de l’original, il est pourtant très loin d’être un navet et présente de nombreuses qualités. Le tort du cinéaste a sans doute été de viser très haut en se réappropriant un film considéré par la critique comme un chef-d’œuvre, ce qui est toujours le meilleur moyen de décevoir. Par ailleurs le choix de la comédie musicale est sans doute ce qui a le plus déplu : ce thème ne s’y prêtait peut-être pas et la partie chantée apparaît comme le talon d’Achille du film, l’écriture des chansons n’étant pas à la hauteur du reste du métrage, sans parler des danses dont certaines semblent tout droit sorties de Mary Poppins. Peu entrainantes, se gravant difficilement dans la mémoire du spectateur, ces chansons marquent la plupart du temps une rupture de ton dommageable à l’atmosphère générale du récit, créant un effet de décalage parfois à la limite du ridicule. Ce dernier aurait donc gagné à faire l’économie de ces séquences (ce qui aurait permis de la ramener à une longueur plus classique, l’ensemble durant tout de même deux heures et demie), choix qui aurait déjà désamorcé une bonne partie des critiques. Mais à cette réserve près il faut bien reconnaître que Horizons perdus est un film agréable à voir et que s’il s’était présenté autrement que comme un remake il aurait sans doute bénéficié d’une meilleure reconnaissance du public.
Créée
le 18 mars 2019
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