Je profite de la projection imminente de ce film à l'occasion du cycle hommage à la TOEI de la cinémathèque française pour sortir un dossier du grenier et exposer le fruit de mes recherches sur le genre auquel il appartient. La projection c'est le 16 juin 2011 à 19h30 pour ceux qui souhaiteraient le voir. C'est une occasion rare, le film est plutôt obscure même si son réalisateur est assez connu, j'y reviendrai.
Maître mot pour comprendre ce Bohachi Clan : contexte. Nous sommes au début des années 70 et les majors du cinéma japonais sont au bord de la faillite à cause notamment de l'arrivée des téléviseurs et aussi du succès grandissant des films américains au Japon. A cette époque le seul genre de film qui continue à prospérer dans les salles obscures est le Pink-eiga, soft porno qu'on pourrait rapprocher de nos films érotiques. Nikkatsu se tourne tout naturellement dans la production de Pink-eiga et ira jusqu'à sortir des séries de films, appelées blabla-Rosen en japonais et labellisées « Roman Porno ». Tôei prendra exemple sur Nikkatsu en sortant des séries de films sous le label Pinky Violence (nom donné récemment pour englober les séries soft porno de Tôei, les séries sortaient à l'époque sous le nom de bidule-rosen, machin-rosen). Et c'est là qu'il y a pas mal de confusion/désaccord sur les termes : genre, série, label. Roman Porno n'est pas un genre cinématographique mais un label marketing pour se démarquer du Pinku-eiga qui avait une forte connotation de produit fait à l'arrache avec budget rikiki. Ce qu'ont proposé Nikkatsu et Tôei dans les années 70 étaient du Pinku-eiga haut de gamme. Avec un budget ridicule mais bien plus confortable que les Pinku-eiga des années 60. Et surtout, des grands noms pour les réaliser et un haut niveau d'esthétisme (tout est relatif).
Pour faire un peu de hors-sujet et aller plus loin sur la classification et les contradictions/erreurs que l'on trouve sur la toile, il y a le genre Yakuza-eiga. Parlons-en car plusieurs films de ce genre sont projetés en ce moment à la cinémathèque française, toujours dans le cadre de cet hommage à la Tôei. Par exemple le Tôei Yakuza-eiga est subdivisé en plusieurs courants (rosen) : le Tôei ninkyô-rosen et le Tôei Jitsuroku-rosen, abrégé en ninkyô-eiga et jitsuroku-eiga. Beaucoup de termes japonais repris malheureusement tels quels en France et désignés : genre. Une recherche approfondie m'a conforté dans l'idée que c'était une erreur répandue. Ce n'est pas un genre cinématographique et on rejoint la classification du Pinku-eiga avec donc un label Tôei pinky violence dont fait parti ce Bohachi Bushidô Clan, j'y viens enfin.
Un point sur le film maintenant. Allons-y clairement, c'est un film moyen mais qui a du charme. On sort des noms comme Tokugawa pour montrer qu'on est bien dans un film historique (jidai-geki) et on montre 1h10 de poitrine sur les 1h20 que compte le film, pinku-eiga oblige. Le héros est un dépressif (il tente de se suicider car il en a marre de couper des têtes) dont la devise est : « Mourir c'est aller en enfer, mais vivre c'est aussi l'enfer ». Il est interprété par le célèbre Tetsurô Tamba, lequel a tourné dans des jidai-geki réalisés par Masaki Kobayashi et Hideo Gosha pour ne citer qu'eux. Teruo Ishii, le réalisateur de ce Porno Jidai Bohachi Clan est très réputé dans son pays pour des séries « ero-guro » (erotique grotesque, encore un sous-genre du Pink-eiga), avec par exemple Shogun's Joys of Torture (série 1968-1972). Bref il n'en est pas à son coup d'essai avec ce Bohachi clan.
Niveau technique il y a de la recherche. Quelques plans sympathiques et surtout un usage intensif de travelling optique et de ralenti pendant les combats afin que le spectateur ait le temps d'admirer les poitrines opulentes des combattantes. On insère des idées saugrenues comme une prière où sur l'autel est posé un godemichet. En fait tout le film est un « melting pot fan-service ». On met du Niten Ichi, le style de combat à deux sabres de Miyamoto Musashi, pour les combats, y'a pas plus cool n'est-ce pas ? Ensuite un vilain très vilain qui se sert d'un pistolet, petit hommage au rôle de Nakadai dans Le garde du corps de Kurosawa ? Sans oublier des effusions de sang dans une jolie intro (on est en pleine période Baby Cart). On n'oublie pas non plus que le méchant doit complimenter le héros sur ses capacités martiales. Le big boss parle très lentement comme tout big boss qui se respecte. Aussi on inclut des petits sauts pendant les combats (SNK avant l'heure).
Difficile de noter une telle oeuvre, soit on lui met 4 car c'est daubesque, soit on lui met 8 car c'est du n'importe quoi totalement assumé. Je mets donc entre les deux, rien que pour la scène de fight au milieu du film il faut le voir. A savoir, le film est l'adaptation d'un manga de Kazuo Koike, l'auteur de Lone Wolf and Cub (baby cart), Crying Freeman et Lady Snowblood entre autres.
Teruo Ishii est un réalisateur qui a travaillé avec des pointures comme Shimizu et Naruse quand il était sous contrat avec la Shintôhô. Un réalisateur prolifique à connaître.
NB : Je remercie au passage Martin, même s'il me semble qu'il n'est plus inscrit sur SC, il tombera peut-être sur cette critique un jour. Même si on était en désaccord sur certains points, il m'a fait retravailler cette critique pour une v2 qui m'a l'air pas mal. J'ai essayé de ne pas rentrer dans des détails et notions japonaises mais pas trop le choix pour comprendre cette folle période 70's.