A Boston, le parrain Frank Costello (Jack Nicholson, impérial) règne en maître sur la pègre irlandaise. Il doit son impunité à Colin Sullivan (Matt Damon), un de ses protégés devenu policier qui lui sert d’indic dans la police. Mais alors que Sullivan le renseigne sur les faits et gestes de la police bostonienne, son supérieur le capitaine Queenan (Martin Sheen) envoie un infiltré (Leonardo DiCaprio) auprès de Costello. Dans la partie qui s’engage, tous les dés sont pipés…
A force de voir ses films peuplés par des personnages qui sont tous plus ou moins les mêmes, on finit par se lasser quelque peu de la filmographie d’un réalisateur certes talentueux, mais sans doute un peu trop conscient de l’être. Si bien que lorsqu’on regarde un Scorsese, on connaît souvent par cœur le caractère des personnages que l’on va suivre, tant ils sont proches de ceux des films d’avant.
Pourtant, parfois, une bonne surprise voit le jour. C’était déjà le cas avec l’excellent Gangs of New York, qui pouvait s’appuyer sur son cadre historique pour nous offrir un récit ample et épique qui empêchait toute redite. Ici, la grande force du film est le scénario captivant de William Monahan. S’inspirant du scénario du film hongkongais Infernal Affairs, d’Andrew Lau et Alan Mak (même si Monahan n'a pas voulu voir le film avant d'écrire son scénario), le script de William Monahan lorgne davantage du côté d’un James Gray en donnant à ses personnages une consistance qui les rend extrêmement attachants.
Rompant avec les loques humaines de Casino ou des Affranchis, deux films intéressants mais aux personnages franchement déprimants, les personnages des Infiltrés témoignent d’une ambiguïté intéressante, de sentiments forts et de motivations profondes, qui permettent de cristalliser autour d’eux des enjeux auxquels on s’intéresse immédiatement. Aidé par un casting impressionnant, où le trio Damon-DiCaprio-Nicholson fonctionne sans jamais que l’un des trois n’écrase les autres, Les Infiltrés déroule donc son implacable engrenage, sans basculer dans la complaisance, la suggestion étant ici de mise (tant dans la violence que dans le sexe), créant une atmosphère sombre mais jamais glauque.
Magnifiée par la belle photographie de Michael Ballhaus, ample et fluide mais jamais tape-à-l’œil, la mise en scène de Scorsese hisse sans nul doute ces Infiltrés au rang des Scorsese les plus beaux visuellement, et conserve ainsi au récit toute son efficacité sur ces 2h30 qui scotchent littéralement à l’écran.
Haletant de part en part, Les Infiltrés se révèle donc une sorte de symphonie complexe dont Scorsese se fait le temps d’un film brillant chef d’orchestre, pour nous plonger avec maestria dans un fascinant jeu de dupes où le drame fonctionnent autant que le thriller, et qui marque durablement l’esprit, tout en nous rappelant que, pour inégale qu’elle soit, la carrière de Scorsese contient son lot de pépites.