Certains films ont une intrigue suffisamment complexe et une mise en scène assez subtile pour être très difficile à suivre si on n'a pas les pré-requis culturels. C'était pour moi le cas du thriller Hongkongais Infernal Affairs, que j'ai vu au cinéma en 2002.
À défaut de connaitre les tenants et aboutissants de la police d'Hong Kong et de leur mafia locale, et face à un film qui va très vite et n'essaye jamais de vous mâcher le travail, j'étais passablement paumé. Pire, j'avais le plus grand mal à comprendre les motivations et les émotions traversant les personnages dont je ne parvenais ni à lire les expressions ni à interpréter les intonations.
Quand son remake a été annoncé, j'ai naturellement froncé les sourcils, parce qu'il n'y a pas grand-chose de plus méprisable qu'un remake américain. En plus d'être rarement nécessaire, ils sont souvent inférieurs à l'original, simplifiés ou charcutés. Seulement... j'avais eu tellement de mal à suivre Infernal Affairs qu'une version adaptée à un public occidental ne me semblait finalement pas si inutile.
Et puis Martin Scorsese. Et Leonardo DiCaprio, Jack Nicholson, Matt Damon et Martin Sheen. À un moment, il faut laisser tomber ses principes de pisse-froid et laissez sa chance à l'œuvre. J'ai aimé le film au premier visionnage, lors de sa sortie en salle, mais ce n'est qu'en le revoyant 16 ans plus tard que j'ai réalisé qu'il s'agissait d'un chef-d'œuvre, en plus d'être l'un des rares bons remakes qu'il m'a été donné de voir.
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Et l'écriture ne gâte rien. Le scénario est original, mais aussi dense, complexe et encore assez difficile à suivre, particulièrement si vous n'êtes pas habitué aux histoires de mafia et d'investigation sous couverture. Je l'ai vu avec ma compagne qui ne regarde jamais d'histoires de crime organisé, et on a dû mettre le film en pause une paire de fois quand elle n'avait pas le jargon, ou que les transitions de scènes très rapides laissaient beaucoup à l'interprétation et à la déduction.
En effet, tout comme son modèle Hongkongais, le film ne vous mâche pas le travail et vous devrez faire tourner un peu votre matière grise pour recoller les morceaux et suivre les subterfuges et manipulations dont il est émaillé. Les arcs des deux personnages principaux s'entrecroisent sans cesse et malgré ses 2h30, il n'y a aucun temps mort, et bien peu de temps pour digérer une scène clef ou une révélation majeure avant d'enchaîner sur la suite.
Scorsese est au sommet de son art avec une mise en scène absolument formidable. Sans emphase ou d'effets de style, le film n'essaye jamais d'en mettre plein la vue, mais n'en constitue pas moins une leçon de cinéma et de montage millimétré. Les rares scènes d'action sont sèches et sobres, et les morts de personnages sont anti-dramatiques au possible, ce qui les rend d'autant plus crédibles et glaçantes.
Le suspens est permanent, épais, avec des scènes de tension incroyables, servies par une brochette d'acteurs talentueux et bien dirigés. D'un point de vue strictement formel, le film est absolument brillant. Scorsese n'avait depuis longtemps plus rien à prouver, mais le voir encore en si belle forme 10 ans après Casino est un réel plaisir.