Les initiés, film de John Trengove – 88 mn
Xolani, jeune homme peu bavard, se voit chargé d’assister en tant qu’initiateur, Kwanda, adolescent de bonne famille que le père veut endurcir, à un rite d’initiation auquel sont soumis une douzaine d’adolescents pendant huit jours en pleine forêt, dans les montagnes du Cap-Oriental. Plus raffiné que ses camarades soumis au rite, le « bourge » Kwanda voit ce que ces derniers n’envisagent pas : Xolani a une relation amoureuse avec un autre des initiateurs Vija. Ces deux séances annuelles d’initiation sont semble-t-il les seules occasions qu’ont les deux amants de se rencontrer ; ils habitent loin l’un de l’autre et de plus Vija est marié et père de deux enfants. Il n’est pas impossible que Kwanda qui n’est pas insensible à l’attention que lui porte Xolani, ne soit pas torturé par la jalousie, et il n’est pas exclu qu’il ait été envoyé subir ces rites d’endurcissement « pour devenir un homme » parce qu’il était soupçonné par son père de penchants vers l’homosexualité. Ce qu’une société qui exalte à ce point la virilité ne peut supporter. Cette attirance / répulsion à trois, entre les deux amants et l’adolescent ne peut donc guère s’exprimer autrement que par des regards. C’est de toute façon Kwanda qui fera preuve de plus de courage, déjà en refusant de se soumettre à la partie la moins cruelle du rite consistant à louer ces épreuves qu’il réprouve, et surtout reprochera à Xolani, qui exige de lui le silence, de refuser de s’assumer en tant que tel. Et c’est lui qui en paiera le prix fort.
Les visages sont souvent filmés en très gros plans, deux parties de visages remplissant l’immensité de l’écran, parfois un frémissement de lèvres indique la douleur, un éclat de lumière dans l’œil de Kwanda livre le trouble de son âme, et les trois scènes d’amour entre Vija et Xolani sont filmées sans voyeurisme grâce au cadrage et à la lumière nocturne qui éclaire la scène. Les scènes du campement en pleine lumière livrent l’étrangeté de ces corps adolescents enduits de peinture blanche transformés en figures tragiques, rendues majestueuses par la couverture cernée de rouge dont ils sont revêtus. Les paysages sont splendides, et la cascade qui ouvre le film avec son vacarme comme une ouverture d’opéra wagnérien, sera aussi le théâtre où seront révélés les deux corps enlacés, avant d’être évoqué d’un plan très bref et sans plus aucune majesté sinon celle du vide, dans la scène finale où se règle le sort de Kwanda, avant que nous quittions Xolani qui rejoint la ville sur une camionnette, comme il était arrivé, mais seul cette fois.
Pour le spectateur européen, le film est un dépaysement total par le décor, certes, par langue bien sûr, comme par la violence sans aucune complaisance ostentatoire – elle est plus suggérée que filmée, qu’il s’agisse de la circoncision ou de l’égorgement des chèvres, ou des scènes d’affrontements physiques – bien plus sensible dans ce qu’on perçoit de violence sous-tendue par ces huit jours de rite, mais surtout par ce poids d’une morale de la virilité qui n’est pas que l’apanage d’une civilisation judéo-chrétienne à laquelle on aurait pu penser que cette civilisation échappait. On passe ainsi de ce qui aurait pu être un document ethnographique à un drame humain, presque intemporel, qui n’est pas sans écho avec certains rites de bizutage, conséquence d’une barbarie que nous partageons et qui va bien au-delà de souffrances physiques, en s’alimentant du rejet de la différence et de l’assimilation de tabous qu’on n’ose remettre en cause. Et c’est finalement le jeune Kwanda, et lui seul, lui présenté comme celui qu’il faut viriliser, qui trouble un ordre que nul n’ose contester. Tout cela se noue imperceptiblement, se révèle par petites touches auxquelles on ne prête guère attention, en oubliant l’ouverture du film, et se dénoue de la façon la moins prévisible possible. La violence faute de tolérance.
21/4/2017