Les innocents c'est cette angoissante histoire d'une gouvernante, Miss Giddens, dotée d'une imagination fertile, qui se persuade à tort ou à raison que, derrière leur façade d'innocence incarnée, les enfants dont elle s'est vue confier la tâche sont victimes d'une terrible malédiction, peut-être due aux anciens occupants, décédés, du chateau.
Le résultat, très abouti, se démarque clairement de la moyenne des films de fantômes, surtout par son ambition à construire lentement, subtilement, une angoisse pernicieuse.
La sauce prend petit à petit et rend d'autant plus efficace et glaçant les moments d'angoisse pure.
Le scénario (co-signé par Truman Capote) est en acier massif, adaptant fidèlement le célèbre roman gothique Le Tour D'Ecrou d'Henry James.
La mise en scène est splendide, toujours claire et prenante.
L'efficace réalisateur Jack Clayton peut en outre s'appuyer sur la photographie incroyable du surdoué Freddie Francis (chef-op sur les films de la Hammer et maîtrisant comme personne le Noir & Blanc, comme le prouve son travail sur Elephant Man de Lynch).
La mise en scène instille une angoisse insidieuse, très particulière, par des moyens purement cinématographiques.
Ainsi, le Noir & Blanc des Innocents est à la fois esthétique et intrinsèquement angoissant, communiquant par les images seules la peur du personnage principal, qui doit explorer les longs corridors de la maison hantée tout en pressentant que les zones d'ombres dissimulent des forces maléfiques toujours sur le point de frapper.
Cette oppression constante fait que lorsque les peu nombreuses apparitions fantastiques débarquent, une réelle angoisse, franche et pas loin d'être tétanisante, s'installe.
La réussite artistique des moments fantastiques est si évidente que deux des apparitions se passent carrément en plein jour, créant quand même une peur indéniable.
Autre point, les lents et troublants fondus enchainés, qui font s'enchaîner les séquences dans une atmosphère vaporeuse, créant un malaise, une confusion anxiogène pour le spectateur.
Ces surimpressions trouveront leur aboutissement graphique dans la séquence magnifique du rêve éveillé de Giddens, qui revoit en un enchaînement particulièrement fluide et marquant les différents moments clés de la conspiration latente dont elles pensent les enfants coupables.
Si on peut être réticent devant le jeu un peu théâtral et outrée des acteurs, les enfants étant parfois littéralement insupportables de surjeu (en même temps c'est des gosses quoi), la direction d'acteurs est brillante.
Et c'est réellement agréable de les voir composer, développer des personnages consistants, ayant une vraie épaisseur psychologique. Cela aboutit, pour une fois, à une réelle empathie du spectateur pour eux.
On notera que si l'adaptation d'Henry James est globalement fidèle, jusque dans les détails les plus infimes, certaines intrigues ont étés intelligemment poussés, comme le trouble sexuel provoqué par le gamin, qui surprend sa gouvernante en l'embrassant à pleine bouche.
La fin, subtilement altérée, est réjouissante de radicalité.
En somme, Les Innocents est un film de fantômes marquant et ambitieux, vraiment brillant dans ses moments d'angoisse, et qui a très bien traversé les ans grâce à sa photographie magnifique. .
Il a fait date, comme le prouve son influence sur nombres de films du même genre, par exemple le très bon Les Autres d'Alejandro Amenabar, avec Nicole Kidman en vedette.