Une comédie dans l'air du temps de 1959
Le titre dit tout et il est parfaitement justifié. Mais ce tout premier film de Philippe de Broca est aussi une intelligente comédie rythmée et réussie. Elle fait le portait d’un trio amoureux dans le Paris de la fin des années 50, en utilisant discrètement quelques références historiques bienvenues.
Victor (le virevoltant Jean-Pierre Cassel) vit à Paris avec Suzanne (Geneviève Cluny) qui tient une boutique du côté de la montagne Sainte-Geneviève. Dans cette boutique, les clients trouvent un bric-à-brac agrémenté par des roses que Victor peint à l’aquarelle : seuls moments où il consent à rester en place. Victor est un papillon qui déborde d’énergie et refuse l’installation bourgeoise que le mariage symbolise à ses yeux. Dès qu’il a du temps libre, il s’amuse avec Suzanne ou retrouve leur ami François (Jean-Louis Maury) ou bien va se trémousser dans une boîte de jazz.
Mais Suzanne voudrait des enfants. Pour elle, cela signifie le mariage. Suzanne a beau être l’élément stable et constructif du couple (union libre… situation quelque peu audacieuse à l’époque) elle dépend du bon vouloir de Victor qui n’en fait qu’à sa tête. C’est François qui les a présentés. Il est le témoin de leur histoire d’amour, celui vers qui Suzanne peut se tourner en désespoir de cause.
Le film est disponible depuis quelque temps sur DVD restauré d’une belle qualité. L’occasion de découvrir le talent de Philippe de Broca qui était alors lié à la Nouvelle Vague (Claude Chabrol qui a contribué à la production a un petit rôle de figuration). Le début du film présente le trio inséparable en quelques scènes sans dialogue qui se suffisent à elles-mêmes. Puis, on a droit à la valse hésitation entre les aspirations de Suzanne et les fuites de Victor, le tout ponctué par leurs manifestations d’amour.
Ce que je retiens de ce film, c’est qu’il ne se contente pas d’une comédie bien rythmée par la musique (influence réciproque avec Michel Deville) au montage adéquat qui met parfaitement en valeur le personnage insaisissable de Victor. Parfois, on se dit que Jean-Pierre Cassel en fait un peu trop, mais non son personnage se tient du début à la fin. Le côté comédie fonctionne du début à la fin. Philippe de Broca se permet même une sorte d’hommage à la screwball comédie américaine avec une séquence où François fait visiter un appartement dans un grand ensemble de banlieue.
C’est l’occasion d’aborder le côté social du film. Nous sommes en 1959, époque où la France se relevait de la guerre (début de la Vème république, signe de stabilité politique) et où les futurs problèmes qui mèneront à mai 68 sont en gestation. Ainsi, Victor voit un panneau lumineux sous yeux en pleine nuit : Consommez du beurre… le spectateur de 2012 croit rêver. Et puis, dans une boîte de jazz, Suzanne qui ne veut pas rentrer danse avec tous ceux qui l’invitent. Parmi eux, un africain et un indochinois, rappel discret mais réel de la politique colonialiste de la France. D’ailleurs, le premier prénom qui vient à l’esprit de Suzanne pour l’enfant qu’elle souhaite est Charles (comme de Gaulle).
Suzanne lit un livre intitulé « L’ancien régime ». Petite phrase pas du tout anodine de Victor « Que demande le peuple ? du pain et … » D’ailleurs, un homme rencontré par hasard évoque des souvenirs du front populaire de 36. Et sur la porte de la boutique de Suzanne, des affichettes présentent des portraits de Balzac, Hugo et Jaurès.
Victor ironise en appelant Suzanne ma petite reine puis le capitaine. On sent que les idées féministes de Simone de Beauvoir sont dans les esprits. Au chapitre du modernisme, j’ai également remarqué que la virée à la campagne passe devant le bâtiment du CNIT.
Bref, un film de qualité qui mérite d’être redécouvert.