1983 : le couple Deneuve/Bowie, lunettes noires et Saint Laurent 80’s, hantait les clubs underground new yorkais à la recherche de sang frais. Au son des guitares électriques de Bela Lugosi's dead de Bauhaus, dans une odeur presque palpable de sueur piquante, de cuir à épaulettes et de volutes incessantes de cigarettes, ces deux-là draguaient d’un simple regard, acéré, cherchant leurs proies parmi la foule interlope et les stroboscopes, et c’était beau, et c’était tripant, et ça s’appelait Les prédateurs. Deneuve était au-delà du glamour, iconique à mort, qu’elle tranche la gorge de ses victimes ou qu’elle embrasse, haletante, Susan Sarandon.


Pourtant, douze ans avant Deneuve, c’est Delphine Seyrig qui déjà irradiait l’écran en "vampire" lesbienne, chic et évaporée, hantant pour sa part, telle une diva d’un autre temps (Harry Kümel dira s’être inspiré de Marlene Dietrich dans la stylisation de son personnage), les palaces déserts de la côté d’Ostende. Qu’elle soit brune chez Alain Renais (L'année dernière à Marienbad), qu’elle soit rousse chez Marguerite Duras (India song) ou qu’elle soit blonde comme ici (et comme Deneuve dans Les prédateurs dont ces Lèvres rouges serait l’ancêtre languide), Seyrig envoûte de sa voix magnifiquement traînante comme un élixir, une incantation lointaine, et fascine dès qu’elle apparaît dans un écrin de nuit ou quand, dans l’une des dernières scènes du film, elle ondule en robe à sequins argentés lors d’un dîner aux chandelles virant à la cérémonie funèbre.


Relecture arty de la légende de la comtesse Báthory, Les lèvres rouges déploie ses mille charmes surannés (superbe musique old school de François de Roubaix) pour raconter une histoire de passion, d’emprise et de transmission où les femmes auraient pleinement autorité sur les hommes, réduits ici au strict nécessaire. Flanquée de sa fidèle servante (et amante) Ilona, la comtesse s’éprend d’un jeune couple "parfait" dont elle entend profiter des corps, des âmes et des sentiments (et principalement ceux de madame, la diaphane Valérie). Le film se joue ainsi dans les échanges incessants des désirs et des baisers (comme il se joue d’une belle symbolique des couleurs, foison de blanc, de bleu, de noir et de rouge, évidemment) entre quatre êtres avides d’amour et d’éternité.


Certes, le film a mal vieilli dans quelques effets de mise en scène (quand d’autres saisissent, par exemple cette scène dans la salle de bains en hommage à celle de la douche dans Psychose) et dans son interprétation (à part Seyrig, sublime, forcément sublime comme dirait Duras, on frôle parfois l’amateurisme). Mais on voit bien l’influence esthétique, dans cette jonction particulière entre cinéma bis et velléités artistiques, entre genre et poésie, qu’il a pu avoir sur certains metteurs en scène d’aujourd’hui, en particulier Peter Strickland (The duke of Burgundy), Nicolas Winding Refn (The neon demon) ou Hélène Cattet et Bruno Forzani (Amer). Un rien érotique (un soupçon de sadisme, une touche de saphisme), un rien fétichiste aussi (ongles longs, bouches ouvertes sur un cri, effusions de sang…), Les lèvres rouges, œuvre culte méconnue et singulière, entremêle pulsions de mort, de vie et de sexe au-delà d’un temps qui se serait arrêté, le long des plages à Ostende où la Báthory batifole, affamée.


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mymp
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le 23 mars 2020

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