Big City Lights
Il est facile de réduire ce City Lights à sa bouleversante scène finale. Elle le vaut bien cependant tant elle se fait la synthèse de ce que le cinéma muet a de meilleur. L’absence de parole est...
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La fin des Lumières de la Ville est certainement la plus belle de la carrière de Chaplin, cruellement ironique, et loin des habituels Happy Endings (quoique le cinéaste n'en ait jamais abusé). Mais l'heure et quart qui la précède déçoit un peu. Ses gags parfois très faciles (devant la vitrine de sculptures, cette trappe improbable qui s'ouvre derrière Charlot, et le grand gaillard qui en sort), répétitifs et moins ingénieux que d'habitude, ne font pas toujours mouche (souffrant notamment de la comparaison avec son précédent film Le Cirque, où Chaplin avait atteint une véritable perfection technique). Deux exceptions sont bien sûr à noter : les scènes du restaurant et du combat de boxe, mémorables, mais qui encadrent tout de même 25 minutes presque fades.
Toutefois, c'est sans doute dans ce film (avec The Kid) que Chaplin est le plus juste dans sa défense des laissés-pour-compte, injectant dans son récit cette ironie cruelle qu'on ne lui connaissait pas encore - à l'image de cette scène d'ouverture où la bonne société de la ville inaugure un monument censé célébrer la Paix et la Prospérité et y découvre avec colère le vagabond endormi. La ville devient l'épicentre d'une contradiction où l'abondance côtoie le dénuement, et où le personnage connaîtra tour à tour l'une et l'autre, paradoxe culminant dans une scène dans laquelle Charlot, temporairement en costume trois-pièces et au volant d'une Rolls Royce, bouscule un clochard pour lui piquer le mégot d'un cigare ("chassez le naturel..."), écho discret à un gag similaire à la fin de la Ruée Vers l'Or. Le personnage en lui-même évoque cette tension entre richesse et pauvreté: Chaplin insiste particulièrement sur les mimiques "distinguées" de Charlot (salutations avec son chapeau, port fier de la canne, fleur attachée au veston...), digne même dans ses habits miséreux.
La belle idée du film est de mettre en scène un de ces "invisibles", d'ordinaire ignorés des riches citadins, et de le faire paradoxalement remarquer par une aveugle, séduite autant par sa bonté généreuse que par la richesse qu'elle lui imagine. Mais cette fois, au contraire des Chaplin précédents (et surtout le Cirque qui en faisait son thème principal), le Tramp ne s'amuse plus de son rôle de clown ambulant, et les rires qu'il déclenche à son passage ne masquent plus le mépris pour sa misère (voir les scènes des petits vendeurs de journaux, répétées 3 fois, chacune montrant un Charlot fier et digne dans sa pauvreté, mais de plus en plus accablé). Car nous sommes en 1931, et la Grande Dépression ravage l'Amérique. Alors, au crépuscule du muet, Chaplin semble se préparer, avec un pessimisme inédit, à quitter Charlot. Et ce faisant, rappelle au spectateur que derrière le personnage si populaire se cache une réalité bien plus glaçante.
Dans les années qui suivent, 25% des Américains perdent leur emploi, et de nouvelles contraintes industrielles favorisent un renouveau du taylorisme dans les usines, ajoutant à la peur de la misère l'aliénation au travail. Ce sera l'idée de départ des Temps Modernes.
7.5/10
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le 20 juil. 2020
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