P4 : idiot, inadapté / la fête est finie
Pour un premier film, Vincent Maël Cardona effectue des choix qui nous ont tellement manqués.
En effet, la succession intense de sentiments parfois opposée est d’une maîtrise sans failles, jamais un moment nous fait échapper à l’action.
Ce film commence avec une définition qui va faire sens dans tout son déroulé. Peut être y suis-je trop sensible, mais ce rapport à l’inadaptation au monde va s’effectuer dans une fascinante et acide poésie, à regarder comme lorsqu’on laisse sa main flotter dans l’air, à vélo. Dans ce genre de situation, on se sent animé, mais on sait intimement que les autres (automobilistes, passants) nous regardent avec étrangeté. C’est cette posture là qui est saisie, comme dans une forme inframince, le réalisateur nous révèle une sensibilité pleine de fragilités et aspérités qui rendent ses personnages incroyablement beaux.
Philippe, admiratif d’un frère charismatique mais profondément dépressif, se retrouve au fur et à mesure protecteur, mélancolique, dépendant, affranchi puis se révèle. Il dit, à juste titre, qu’il n’a jamais été la voix de leur émission de radio clandestine et engagée, car trop timide. Pourtant, la prouesse se situe ici dans l’écriture et le choix des acteurs. La voix de Thimothée Robart possède tout ce qu’il faut, et je suis sortie persuadée qu’elle a compté également. Elle semble saisie entre adolescence maladroite et âge adulte en tentative de construction, une voix de flottement donc, incroyablement séduisante.
Il me semble important de redéfinir ce que Philippe, fascinant personnage principal, souhaite atteindre.
Même s’il s’agit d’abord d’une tentative désespérée de ne pas effectuer le service militaire, elle devient tout de suite une façon d’être au monde très touchante, belle, à la fois simple et complexe : inadaptée (aux monde, aux autres : personne ne déclare ainsi ses sentiments). Il faut saluer ce personnage, tant il nous offre écriture dans l’écriture, musique dans la musique. (D’ailleurs, j’attends la B.O. avec l’impatience d’une adolescente groupie.)
Bien que propulsés dans les années 80, nous ne sommes, spectateurs, que saisis par l’actualité des situations qui se présentent à nous. Ce paradigme existe sous le prisme de l’amour, platonique, non vécu physiquement puisque les deux n’échangent que des preuves artistiques d’un amour qui n’est pas subi de façon traditionnellement admise par la société. Ils ne construisent pas de concret, n’engagent pas véritablement leurs corps et résistent ainsi aux prismes cartésiens de notre monde consumériste.
Il y a d’ailleurs dans le choix de manipulations de cassettes audio, encore quelque chose qui résiste au temps. Quelles soient ouvertes ou fermées, elle se font état de captations fantômes, et on déguste leur musique comme une bouteille de vin. Philippe se fait maître de la trans communication instrumentale, et c’est dans une persistance fantôme qu’il crie son amour à Marianne, presque par ondes telluriques, dans une prière hors sol.
D’une poésie rare, il était temps qu’on fasse exister « l’inadaptation » : et quel bonheur d’en être spectateur. Je le perçois dans la créativité exacerbée de tous les personnages principaux, qui donnent et font sans se poser de questions. Difficile, assise sur son strapontin, de ne pas recevoir ce genre de cadeau.
Il me semble ne pas avoir vu, et ce depuis longtemps, un film d’une si franche honnêteté qui met si bien en valeur les failles et aspérités d’un individu, sa petite musique personnelle. Filou, qui se débat miraculeusement bien pour tenter de s’inscrire au monde de façon singulière, poétique, animée.
Je ne raconterais pas l’histoire, ni le scénario, il est de toutes façons hygiénique que vous alliez vous en délecter mais il me semblait indispensable de remercier et saluer le travail de Vincent Maël Cardona.
Un nouveau péril jeune, et quel péril de se frotter si ardûment à ce genre de paysages mentaux.