Les cinéastes qui ont connu la guerre sont souvent ceux qui en parlent le mieux. De John Ford à Pierre Schoendoerffer, ils apportent au genre des œuvres plus humaines et plus réalistes.
Samuel Fuller entre particulièrement bien dans cette catégorie. Engagé dans la 1ère division d’infanterie américaine, il participe au débarquement de Normandie et à la libération de certains camps de concentration. Cette expérience nourrira son cinéma : il a vu la violence des hommes, et la montrera dans ses polars, mais il a vu aussi la guerre et la reconstituera dans des films qui figurent parmi les meilleurs du genre : Baïonnette au canon, Au-delà de la gloire et Les Maraudeurs attaquent.
Les Maraudeurs dont parle ce film ont réellement existé, de même que le général Frank Merrill. Il s’agit du 5307ème Bataillon Provisoire, dont Fuller nous montrera les souffrances. La scène d’ouverture résume parfaitement le film : en quelques minutes, le cinéaste parvient à nous montrer des personnages individualisés, à insister sur le côté humain de l’aventure et à nous donner une très belle scène d’action.
Des grandes scènes de bataille, il y en aura trois dans le film ; cela permet d’obtenir un bel équilibre qui donne à l’ensemble un rythme ni trop lent (ce qui aurait ennuyé le spectateur) ni trop frénétique (ce qui aurait pu être au détriment de l’aspect humain du film). Toutes, elles montrent la grande qualité du travail esthétique de Fuller et l’audace de ses choix de mise en scène. Ainsi, la bataille de Shaduzup, où les personnages doivent évoluer au milieu des blocs de béton d’une gare nippone, est magnifiquement filmée et chorégraphiée. Le choix des cadrages et d’un montage innovant impose une violence encore rare dans le cinéma de ce début d’années 60.
Chose rare dans les films de guerre de cette époque : jamais on n’entend le moindre propos anti-japonais. Bien que patriotique, comme il se doit, Les Maraudeurs attaquent ne développe pas le moindre sentiment de racisme. Fuller montre très peu les Japonais, mais en fait des soldats redoutables : cachés dans la nature luxuriante de la jungle birmane (même si le film a été tourné aux Philippines) ou dans l’ombre de la nuit, ils semblent toujours se confondre avec le décor et surgir de nulle part. Le sentiment d’un danger permanent s’impose alors aux personnages et aux spectateurs : quasiment invisibles, les Japonais sont donc susceptibles d’être partout.
Cette angoisse de chaque instant influe forcément sur le moral des troupes. D’autant plus que les Japonais ne sont pas les seuls ennemis (et peut-être pas les plus dangereux). La jungle, les marécages, les moustiques, les sangsues, les maladies diverses et variées déciment les soldats. Sans oublier les ordres irréalistes. Fuller insiste sur le moral des troupes : ses personnages sont des humains avant d’être des soldats. Cet aspect psychologique est renforcé encore par une caméra qui est souvent la plus proche possible des personnages, au milieu des hautes herbes, en gros plan, scrutant les visages à la recherche des émotions qui ne peuvent plus être cachées. Fuller a manifestement une volonté de nous immerger, pour faire un film de guerre à hauteur d’homme.
Samuel Fuller montre aussi ce que l’on ne voyait pas dans les films de guerre de l’époque : le décompte des morts, les blessés qui attendent d’être évacués, les lettres aux familles des victimes, l’impossible empathie des officiers avec leurs hommes, la difficulté de commander, le désespoir face à des ordres aberrants, etc.
Certes, le film n’est pas exempt des défauts du genre : l’inévitable scène où une population locale vient réconforter les héros, les enfants qui sympathisent, l’héroïsme patriotique. On pourrait également reprocher à Fuller de ne pas montrer les horreurs de la guerre comme on peut les voir de nos jours. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes en 1962 et que le cinéaste a réalisé là une œuvre audacieuse, respectant un équilibre entre classicisme et innovation. Un très beau film de guerre, injustement méconnu.