Lâcheté et mensonges
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
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le 29 nov. 2019
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Un sujet sensible, quelques jeunes acteurs peu expérimentés, un contexte sous hautes tensions entre débats nationaux, des révoltes banlieusardes et des montées extrémistes.
Autant dire que le film allait forcément faire parler, en bien comme en mal.
Je suis obligé de constater que le film de Ladj Ly est extrêmement solide. Proposer un film avec autant d'énergie, avec une maîtrise de l'histoire d'un bout à l'autre et une diversité de quiproquos qui s'entrechoquent. C'est un pari réussi.
Il aura fallu attendre 25 ans, depuis La Haine, pour retrouver l'authenticité, les vraies valeurs et la panache des banlieues parisiennes. Et surtout confronter chacun des camps à leurs problèmes respectifs, c'est une histoire de responsabilités. C'est une histoire de savoir-être avec son prochain. Le film n'a sans doute pas la prétention de proposer une solution à toutes les difficultés présentées, c'est un reflet de ce qui est arrivé et de ce qui continue d'arriver tous les jours. Un état des lieux magnifiquement mis en scène, et même si le dénouement final peut sembler tiré par les cheveux, certains jugeront même qu'il est invraisemblable, cela ne me pose aucun problème. C'est du cinéma avant tout et le réalisateur s'est fait plaisir, ce n'est pas une course au réalisme absolu et de toutes façons il y aura toujours des divergences sur ce qui est "vrai" ou ce qui ne l'est pas, donc inutile de partir en croisade pour convaincre celui ou celle qui n'a jamais mis un pied dans une cité.
J'ai aussi été heureux de constater que le film n'est pas un appel à la casse, si on fait l'effort de creuser dans le fond, on se rend vite compte de la teneur existentielle du film, loin de vouloir attiser la haine, d'un côté comme de l'autre. Il y a énormément de nuances dans l'écriture des personnages, il y a beaucoup de portes qui sont ouvertes sur certains cas ou sur des situations délicates, à chacun de se faire son propre ressenti et d'en tirer les bonnes conclusions. Et la phrase de fin signée Victor Hugo me conforte dans cette idée.
Paradoxalement le long-métrage de Ladj Ly risque fortement de diviser les spectateurs davantage pour ses partis pris politiques et son audace à montrer une réalité qui dérange les biens pensants, il serait dommage d'omettre d'autres qualités du film qui sont nombreuses, autant que des maladresses qui auraient pu être évitées ou des zones de l'histoire qui auraient pu être plus poussées, mais qui restent assez superficielles et peu dérangeantes. Notamment la radicalisation religieuse ou les trafics en tous genres, mais justement il a été préférable de se concentrer sur une histoire originale et recentrée sur les états d'âme des personnages, Ladj Ly fait le choix judicieux de les laisser s'exprimer en tant que tel sans faire de préambule ou de leur dresser des portraits, au contraire ils prennent contrôle de l'espace et transcendent l'écran, on comprend assez vite à quel genre de personnages on a affaire.
Le mélange entre l'humour propre au cité et celui de la BAC, et cette action qui monte crescendo pour un final tétanisant, parsemé de petites scènes simples et banales montrant le cœur du propos à travers le quotidien des protagonistes, ça prend aux tripes. Il est évident que les blagues faites par les jeunes ne feront pas sourire tout le monde, il est normal d'être moyennement convaincu en voyant le débordement qu'il peut y avoir de chaque côté, mais ce serait sous-estimer la violence du monde dans lequel on vit. Une simple étincelle de haine pouvant déclencher un engrenage terriblement ahurissant. Le film parvient, selon moi, à jongler entre le misérabilisme des banlieues et la difficulté rencontrée par les agents de police, ils se renvoient la balle et se font des tords les uns aux autres. Sans oublier la question des animaux et de leur captivité, on effleure le sujet mais là aussi on comprend facilement la position de Ladj Ly.
Les Misérables est un grand boum en cette fin d'année, qui va assurément marquer les esprits pendant longtemps et être cité comme un exemple d'efficacité dans le cinéma français. À l'heure des comédies ringardes et des films d'auteur sans saveur, réchauffés, cela fait un bien fou de voir encore des projets comme celui-ci. Les Misérables est donc à la fois une chronique sociétale et un drame social, on est immergé et parfois perplexe car il faut bien essayer de soustraire le réel à la fiction. Un véritable western urbain.
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Créée
le 4 déc. 2019
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