Mai 2019, 72ème édition du festival de Cannes, un des premiers films de la sélection officielle à être projeté n'est autre qu'un film choc que personne n'attendait. Un certain Ladj Ly, membre du collectif Kourtrajmé, et ayant déjà quelques documentaires à son actif, nous présente Les Misérables, son premier long-métrage de fiction.


Avant toute chose, le film a pour sujet les violences policières dans le département de la Seine-Saint-Denis, et il se veut donc très chargé politiquement.
Dès le début, après une scène d’introduction qui se veut être le seul réel moment de fraternité et l’unique passage véritablement joyeux et optimiste du film, nous sommes directement propulsés dans le feu de l’action. Nous faisons alors la rencontre de notre trio de personnages principaux : un groupe de trois policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) de Montfermeil composé de Chris, Gwada et Stéphane. Tout le récit du film est montré du point de vue de Stéphane, incarné par Damien Bonnard, un policier de Cherbourg qui vient tout juste d’arriver sur les lieux pour la première fois. Stéphane se trouve donc en total décalage avec l’environnement dans lequel ses deux collègues expérimentés ont évolué depuis de nombreuses années, et toute sa découverte du monde de la BAC de Montfermeil se fait donc en même temps que le spectateur. On suit alors les péripéties de ses flics dans Montfermeil, essayant d’assurer la sécurité et surtout le ré-encadrement de plusieurs foules violentes d’enfants pauvres vivant dans des HLM. Une véritable tension s’installe alors entre les policiers et les enfants.


Déjà, au niveau du casting, il est intéressant de voir que les acteurs choisis sont tous très peu connus, ce qui renforce notre découverte des lieux, et qui rend en quelque sorte tout cet univers plus crédible. Mention spéciale à l’acteur Alexis Manenti, qui incarne le personnage de Chris et qui s’en sort vraiment très bien dans son rôle de ‘pseudo cow-boy tête brulée du 93’.
Au fil du récit, comme dans un ‘monde ouvert’ à la Grand Theft Auto, nous découvrons les différentes facettes de cet univers et l’ambiance très particulière et toujours pleine de tensions qui règne partout dans la ville. Tout cet aspect ‘open world’ est renforcé par la mise en scène de Ladj Ly et son approche très documentaire, à travers laquelle on peut voir un parallèle évident avec le personnage de Buzz, un enfant scrutant les différents recoins de Montfermeil grâce aux images filmées par son drone, et qui peut être analysé comme une projection du réalisateur lui-même dans ce personnage du film.


En plus de l’approche très documentaire de Ladj Ly, le film est d’une maitrise vraiment très impressionnante pour un premier long-métrage de fiction. Le film arrive à installer de la tension quand cela est nécessaire, et installer des moments plus posés pour relâcher la pression. On assiste par moments à des scènes de tensions et d’action assez violentes et assez dures à surmonter mais qui me paraissent néanmoins nécessaires à montrer pour souligner le propos du film, et d’un autre côté, on alterne avec des moments plus posés, où Ladj Ly prend son temps pour poser une atmosphère et de très beaux plans plus posés. Les scènes d’action sont très intenses, on peut par moments penser à des scènes de thrillers américains comme Heat de Michael Mann, dans cette manière de gérer l’espace et le terrain de l’action. Il y a vraiment des moments qui nous prennent véritablement aux tripes. Comme ces nombreuses scènes où un des policiers tire à coups de Flash-Ball dans un groupe d’enfants pour calmer la foule. Globalement on a très peu de temps pour respirer face à toute cette tension qui s’installe petit-à-petit dans le récit pour finalement amener à une explosion finale, comme une attaque anarchiste ultime de la part des enfants sur notre équipe de la BAC. L’idée véhiculée tout au long du film est de se dire que la violence des policiers sur les enfants engendre la violence des enfants sur les policiers et vice-versa, et ce toujours plus loin.


Evidemment, face à un tel film, on ne peut pas s’empêcher de penser à des œuvres influentes comme La Haine de Kassovitz, ou la série The Wire de David Simon, également sur le thème des violences policières.


En fin de compte, le point qui me parait être le plus intéressant dans Les Misérables est sa fin, qui nous est montrée comme un affrontement final entre les deux camps. Au final, le film n’a clairement pas pour but d’offrir une conclusion optimiste et une affaire résolue pour le spectateur. Bien au contraire, Les Misérables laisse le spectateur sur un moment inachevé, en suspend, une fin ouverte où c’est à lui de décider quelle est la meilleure solution possible pour l’avenir de ces communautés.


Les Misérables est finalement un film assez pessimiste sur la situation politique actuelle de la France, et qui a pour but de véritablement secouer le public en leur disant : « Regardez les choses en face, regardez comme la situation actuelle est toujours la même depuis plus de 20 ans ! Il va vraiment falloir se remuer les miches si on veut avancer dans tout ce pétrin ! ». Pour tout ça, le film arrive à merveille à faire passer ce message et à provoquer chez le spectateur un sentiment de réelle empathie vis-à-vis de chaque communauté montrée, que ce soit les enfants des HLM ou les policiers. Car ce qui est vraiment formidable, c’est que le film ne nous impose jamais un point de vue précis à adopter absolument ou un camp vers lequel se tourner. Le film laisse le spectateur libre de choisir quelle solution est la meilleure pour améliorer les choses, mais il ne remet jamais la faute sur une des communautés montrées dans le film, car comme dirait Victor Hugo :



« Il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de
mauvais cultivateurs.
»



En conclusion, Les Misérables est un film d'une grand force, d’une dureté sans précédent, mais d’une efficacité absolument redoutable.

LungBoonmee
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le 24 janv. 2020

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