J'ai trouvé le film très fort et très juste dans la fresque qu'il deroule petit à petit de tous les acteurs de la vie en bas des blocs. Et vraiment subtil dans son articulation de tous ces rapports sociaux entre les prêcheurs musulmans, les gitans, les enfants, la BAC, les mères de famille et tous les autres. Tout m'a paru très évident, tout coïncidait à mes yeux avec le réel de ces quartiers et venait en même temps me rappeler que mes discours de gauchiste ne changent rien au fait que je suis un fils de bourgeois qui ne connaît pas grand chose de ce monde. L'autre merde de Manuel Valls avait parlé d'apartheid social et je ne suis pas sur qu'il avait eu tort de dire ce mot.


Étonnamment, je crois que prendre le point de vue des policiers (on prend quand même plus rarement celui des habitants de cité) était pertinent. Ce choix évite de transformer le film en une charge difforme qui se contenterait de crier ACAB. On sent bien ici que chacun est embarqué par une dynamique qui se développe malgré soi.


Mais ce point de vue policier fait aussi la limite du film, il trahit le titre et les intentions qu'il laissait imaginer. D'abord, ce titre encombre le film d'une référence qu'aucune oeuvre n'est prête à porter. Surtout, il ne dit rien du récit qui nous est fait puisqu'il ne s'agit nulle part ici d'exposer la misère qui ronge les cités. Il est presque exclusivement question de violences et d'autorités. Ce n'est pas la même chose et le film ne fait pas de lien, même implicite me semble-t-il, entre misère et violence. Sinon par son titre, donc. Il se contente d'une citation finale bien connue, issue du livre éponyme : "Il n'y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n'y a que de mauvais cultivateurs." Moi ça me va, je suis d'accord. Mais mon reproche à Ladj Ly est précisément qu'il n'ait pas montré davantage de quelles oppressions sociales, économiques, raciales ou culturelles la violence qu'il montre est le fruit.
Sans ça, et avec en plus le point de vue des policiers adopté la majorité du temps, on semble tomber dans un quasi relativisme qui renvoie les violences policières et les violences contre la police dos à dos. Je suis pourtant à peu près certain que ce n'était pas la volonté de Ladj Ly. Mais la seule fois du film où on tire au LBD sur quelqu'un, c'est certes une bavure, c'est certes injustifié, mais c'est accidentel, c'est le résultat d'une situation où le flic est dépassé. Or les violences policières, dans les banlieues notamment, sont très régulièrement arbitraires et délibérées, et on le voit bien trop peu dans le film.


Tout ca n'enlève rien aux grandes qualités que je lui ai par ailleurs trouvées. Mais ça lui enlève une bonne part de sa virulence politique, puisqu'il cible mal. Ceux qui ne mesurent pas l'ampleur et la gravité des violences de la police dans les cités - que ce soit par déni, par indifférence ou par mépris - et qui auront quand même fait l'effort d'aller voir Les Misérables y auront trouvé tout ce qu'il leur faut pour ne pas enlever leurs oeillères. Ils seront préservés de toute remise en cause dans leur approche politique des banlieues. Et c'est presque un drame que l'oeuvre ne franchisse pas ce pas, quand on sait combien les banlieues sont rares au cinéma (et finalement partout ailleurs dans l'art, sauf dans la musique, où le rap a conquis une légitimité). On comprend mieux dès lors que Macron se soit permis de se prétendre bouleversé par ce film : il ne le bouscule pas beaucoup. Mais sûrement n'aurait-il pas eu ce succès s'il avait été plus féroce sur ce point...

Manu-D
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le 14 janv. 2020

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Manu-D

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