Lâcheté et mensonges
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
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le 29 nov. 2019
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Les films sur la banlieue sont rares au cinéma, mais sont souvent très réussi ! Pour la plupart, des thématiques y sont adaptées pour innover le récit. L'Esquive d'Abdellatif Kechiche qui sur le ton de l'amour impossible, arrive merveilleusement bien à adapter Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux dans une cité. Plus récemment, j'aurai envie de citer Dheepan de Jacques Audiard. Mais encore ici, on s’intéresse plus à la vie de réfugiés Skri-Lankais dans un quartier difficile en France, à travers leurs adaptation difficile, et leurs souvenirs de la guerre au Skri-Lanka.
Mais il y'a bien une oeuvre alors qui dans ses thématiques, pourrait s'approcher de notre film du jour : La Haine de Mathieu Kassovitz. Le quotidien et les difficultés de la vie en cité, et évidemment les violences policières. Pourrais-on alors voir à travers Les Misérables le retour d'un film choc, dénonciateur et profondément maîtrisé comme l'a était ''La Haine'' prés de 20 ans plus tôt ? Bien-sûr que oui !
Les Misérables réalisé par Ladj Ly, est adapté de son propre court-métrage du même nom sorti en 2017. Rien n'est inventé, beaucoup d’événements ici sont vraies. L'histoire de Stéphane ( Damien Bonnard ), nouvel recrue de la brigade Anti-criminalité de Montfermeil, qui va devoir travailler avec ses nouveaux collègues, Chris ( Alexis Manenti ) et Gwaga ( Djibril Zonga ). Il découvre rapidement les tensions et difficultés dans le quartier. Un jour lors d'une interpellation, cette brigade dérape et commet l'irréparable, le tout sous les yeux d'un drone qui filme la scène.
L'action du film se passe à l'été 2018, en pleine euphorie après la victoire des Bleus. Un été qui est censé être de joie et d'oublie des difficultés de la vie, comme ne l'oublie de le rappeler l'une des chefs du service de police. Le film s'ouvre sur la victoire d'ailleurs sur ces images de liesses, de fête et de joie au cœur de Paris. Comme le dis Ladj Ly, seul ce moment permet de réunir tous les monde, de tous les horizons, de toutes les classes.
Ladj Ly connait son quartier ( il y a grandi ), et y dresse un état des lieux dans la première partie. La ronde de ce trio policier nous permet de découvrir les acteurs importants de ce quartier, les différents ''pôles'' et la misère ambiante ... le tout dans un sentiment fraternel et de respect mutuel.
On pourrait se voir, nous spectateur, à travers le personnage de Stéphane. On débarque, on ne connait pas l'endroit et on découvre les règles qui dictent ce quartier.
Une certaine forme de sagesse peut être trouvé au kebab du coin, une atmosphère agressive chez les gitans ayant installé leurs cirque dans le quartier, ou encore un ''maire'' plutôt proche de sa population, bien que faux.
Un lionceau du cirque est enlevé par un jeune du quartier, et la police le recherche. Les événements s’enchaînent et les remises en question de la part de Stéphane sur ces collègues et leurs façon de faire augmentent. Issa, qui est à l'origine le voleur du lionceau, est localisé. L'interpellation dégénère à cause de nombreux jeunes sur places, et l'irréparable arrive. Le jeune Issa, reçoit un tir de flash-ball à la tête alors qu'il est menotté. La montée des provocations des deux cotés ne peut déboucher que sur le mal. Cet véritable agression est filmé par un drone, celui-ci commandé par le jeune Buzz.
Buzz ( qui n'est autre que Al Hassan Ly, le fils de Ladj Ly ), pourrait être le portrait du réalisateur plus jeune : l'art de l'image pour dénoncer. Je reviendrai évidement plus tard sur les origines de Ladj Ly et le ''copewatching'', car on sent cette pratique à travers la réalisation.
La vidéo deviens virale et le quartier entier, mais surtout ces figures fortes prennent parti dans cette incident. Les policiers peuvent perdre leurs places et des violentes révoltes peuvent éclater. Le sérieux, le secret et la peur prime, jusqu’à ce final choc !
La tension émise par Ladj Ly à travers ces regards qui scrutent la voiture de police et ce déferlement de haine au sein même d'un immeuble montent cette scène dans une tension folle ( d'ailleurs je pense aussi à cette scène dans le chapiteau elle aussi très forte ). Les plus jeunes, réuni autour d'Issa ( Issa Perica ), prennent le pouvoir sur ce quartier. Les anciens et la police sont misent à l'amende dans une extrême violence. Au cœur des sombres cages d'escaliers, le rouge des fumigènes et artifices expriment une violence dont personne ne sortira indemne.
Et enfin, cette scène finale et ce jeux de regard entre Stephane équipé de son arme, et Issa et son cocktail Molotov. Deux personnages dans une même galère, dans la même misère. Une scène qui n'est pas sans rappeler le final de La Haine évidement. C'est grandiose et maîtrisé
Buzz derrière sa porte, assiste à la scène. Comme un métaphore de son acte dans le film, de ce qui pourrait devenir un job : filmer pour dénoncer, tout comme l'a était Ladj Ly. Il regarda et enregistra la bavure policière derrière son écran, et il assiste à cette agression finale derrière le judas de sa porte.
On sent un Ladj Ly à l'aise dans la réalisation. Ses années ''copewatching'' lui ont permis de retranscrire fidèlement ces scènes de tension ou d'agression avec une forte justesse. Sa caméra au poing et ses légers zoom constant lors des gros plans nous permettent de voir au plus prés des personnages et leurs réactions face à cette atmosphère tendue. Les plans en drone qui au-delà de donner cet aspect artisanal, subliment Montfermeil vu d'en haut.
D'ailleurs je trouve cette phrase de fin, tirée du roman originel Les Misérables de Victor Hugo magnifique : « Mes amis, retenez ceci : il n'y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes, il n'y a que de mauvais cultivateurs. ». Politiques, on vous voient.
Ladj Ly nous plonge dans la situation difficiles des cités actuels. Entre nombreux jeunes et nombreux policiers, c'est un engrenage de violences qui ne peut difficilement se résoudre.
Ici il n'y a pas de gagnants, que des perdants. Que des misérables.
Bravo Ladj Ly !
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le 23 nov. 2019
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