Cette énième (pas encore à l’époque) adaptation du roman de Victor Hugo, même s’il elle n’est pas fameuse, présente toutefois suffisamment d’originalités pour s’y intéresser. Elle relève du genre « film populaire » qui mixe un peu les effets, mélodramatiques, suspens, émotion. Sorti à l’époque en 1947 et 1948 en 2 parties : la chasse à l’homme et tempête sur Paris, mon analyse sera donc décomposée en deux temps.


La 1ère partie, « La chasse à l’homme », est de loin la plus réussie, car assez fidèle au roman et l’on y perçoit toute l’ambition du réalisateur à vouloir faire un grand film épique, sans en avoir toutefois les moyens. Pourtant, les scènes du bagne du début aiguisent notre appétit, le choix du lieu, les péripéties de Valjean en surimpression, un ultra réalisme semble poindre. Semble… Ce sera la seule scène vraiment audacieuse du film. La suite se déroule selon le chapitrage strict du roman entièrement dominée un surprenant Gino Cervi (le Peppone de Don Camillo). Il se classe d’ailleurs parmi l’un des meilleurs interprètes de Valjean à l’écran, sa stature et son charisme y contribuant fortement. Au niveau crédibilité, il est toutefois en concurrence avec Hans Hinrich, excellent Javert, le reste de la distribution est plus disparate et assez dilué. La direction artistique, masque autant que possible le manque de budget. Ainsi, les seules scènes extérieures se situent principalement autour d’une même place du début à la fin, quelques décors intérieurs sont plutôt bien pensés (le bureau de M. Madeleine notamment), mais l’ensemble est très poussiéreux et cartonné quand même. Ce qui pourrait distinguer cette adaptation par rapport aux autres tient au procédé de dramatisation retenu par Riccardo Freda pour sa mise en scène. L’empreinte religieuse d’abord, le poids de la morale l’église pèse lourdement et selon les actes (bravoure, lâcheté) elle se retrouve dans le décor par nombre de représentations mystiques (croix du christ, la poupée de Cosette enchâssée comme une vierge…) plus ou moins inquiétante en ombrée ou nimbée de lumière. Autre constante chez lui, son goût des cadrages issus du cinéma d’épouvante (gros plans expressifs, clairs obscurs inquiétants, scène de la fonderie digne de la Hammer). Freda signera d’ailleurs par la suite quelques classiques du genre (« Les vampires », « Le spectre du professeur Hichcock »…). Si l’on peut regretter un jeu d’acteurs (excepté Cervi et Hinrich) grossissant en mimiques et gestuelle le drame qui se joue, certaine scènes sont toutefois assez poignantes, celle notamment de Valjean et de la sœur Simplice d’une belle sobriété.


Par contre, et cela sera encore plus probant dans la seconde partie, toute la dimension politique du roman passe à la trappe. Et l’on se demande si le spectateur lambda, s’il n’a pas lu le livre, ou eu connaissance de la période (les troubles de 1832 en France, avec la montée des républicains suite à la chute de Charles X et à son remplacement par Louis Philippe), sache exactement de quoi il en retourne.


La 2ème partie , « tempête sur Paris » donc est quant à elle totalement loupée. Un pan complet du récit est occulté et donne l’impression que Jean Valjean est un alchimiste, tant il a de facilités à rebondir financièrement. Même incrédulité face « aux évènements » (les barricades) qui semblent se produire à l’emporte pièce. Toutefois, la scène de l’insurrection est plutôt dynamique (cascades, scènes des tonneaux dévalant la rue, et pour une fois beaucoup de figurants). Elle a du à elle seule grever la moitié du budget et donne lieu à un ensemble de plans qui ne sont pas sans rappeler ceux Abel Gance, toutes proportions gardées quand même. Mais c’est bien peu, au regard des longues minutes qui mènent à la fin de l’histoire. Car dès ce moment là, le film s’enlise. Des scènes sont tronquées (Marius fusillé, se retrouve à l’écran on ne sait comment dans les égouts avec Valjean), Gavroche apparaît sur deux mini scènes (une fois dans le décor, une autre où il meurt et voilà), la romance entre Marius et cosette par contre est amplifiée et fait l’unique objet du scénario jusqu’à cette fin complètement niaise, sirupeuse, et malheureusement très risible. Seuls les derniers instants de Javert bénéficient d’un éclat d’inventivité, donnant lieu, un instant, à du vrai cinéma, bien pensé, bien cadré et livrant une forte émotion. On se demande bien ce qui a pu attirer Freda dans cette adaptation, car si l’on déshabille « Les misérables » de toute son ossature sociale et politique, il ne reste pas grand-chose d’autre qu’une accumulation de péripéties sentimentales plus ou moins grossières.


Avec son goût prononcé pour l’action (les égouts, les barricades, les poursuites…), son œil focalisé sur le fantastique (ici encore certaines scènes sont dignes des vieux classiques d’horreur de la RKO, comme celle où Valjean et retenu par Thénardier et ses sbires, ou encore avec ces visages figés aux yeux exorbités sous une lumière frontale…), Freda aurait du s’attaquer aux « Mystères de Paris », beaucoup plus dans ses cordes artistiques semble t-il…

Fritz_Langueur
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le 27 déc. 2015

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