Rareté sur nos écrans : un film sud-africain ! Du coup, on guette des indications situant l’action et les protagonistes. Le milieu décrit est celui d’agriculteurs très marqués par leur foi, probablement des protestants, puisqu’il est question à un moment d’un pasteur. Autre détail significatif, les noms et prénoms indiquent des origines néerlandaises. Et puis, les personnages sont blancs et s’expriment en afrikaans (Janno demande si le nouveau comprend et s’exprime dans cette langue).
Janno (Brent Vermeulen), c’est le garçon (environ 15 ans), à qui sa mère (Juliana Venter) demande un jour d’accueillir Pieter (Alex van Dyk). Pieter est un garçon des rues, maigrelet, qui a survécu à des situations difficiles. C’est la tante de Janno qui l’amène à la ferme un beau jour. Une situation qui ne plait pas spécialement au garçon qui y voit une sorte de concurrence. Janno est un garçon qui travaille dur avec son père, Jan, parcourant ainsi la plaine immense en culottes courtes (symbole de son appartenance à un système où il faut montrer sa capacité à souffrir pour s’en sortir). Les paysages sont régulièrement brumeux, en opposition avec les intérieurs souvent baignés d’une lumière chaude (probablement accentuée artificiellement). On remarque que Janno se comporte en jeune homme soumis à son père, homme de carrure, pas très bavard mais personnalité monolithique qu’il tient de son propre père. Et, quand Janno demande quelque chose à sa mère, il lui dit vous. Il passera plus tard au tutoiement, peut-être pour ne pas céder devant Pieter qui lui ne se pose pas la question du respect. S’il faut dire « Bonjour mon oncle » à ceux qu’il croise en ville, Pieter rechigne d’abord mais évalue vite où se situe son intérêt.
La foi en un Dieu qu’il faut remercier pour sa générosité ressort du discours de la mère (Marie, un prénom qui ne doit certainement rien au hasard), qu’on entend penser alors qu’elle regarde Janno « Mon Dieu, faites qu’il soit fort, que sa semence soit forte, ... » Elle fera de même pour Pieter. Du côté de la jeune génération, on voit un groupe auquel appartient Janno, assis en cercle un soir dans la nature, se tenir par la main pour invoquer là aussi les bienfaits de Dieu. Sans aller jusqu’à faire de la théologie qui n’aurait sans doute pas sa place ici, on peut résumer l’état d’esprit général du milieu montré, par une phrase prononcée par un adulte. Approximativement « Mon Dieu, accordez-nous de retirer le mal qui est en nous » qui permet d’aller loin dans la réflexion. L’homme reconnait que le mal est en lui, mais il considère qu’il n’a pas la faculté de l’éradiquer, malgré son désir de lutter contre cette tendance. Tout dépendrait du bon vouloir de Dieu. On est là du côté du déterminisme qui tend à minimiser la responsabilité des actions humaines. Il y a sans doute aussi une façon de justifier la présence de la communauté sur une terre « conquise » parce que Dieu l’a bien voulu. Une explication sans doute à l’action d’éducation et d’hébergement de la famille, de la mère notamment (une façon d’expier des péchés).
Le film tend à se concentrer sur les rapports de plus en plus tendus entre Janno et Pieter. Le vrai défaut du film à mon avis est de négliger un peu le travail proprement dit, même si on voit celui de la moisson, celui avec un troupeau de vaches, le marquage des bêtes et la mise en couveuse d’œufs couverts de taches, l’éclosion puis les volatiles en train de picorer. Il faut dire aussi que la moisson qui intéresse Janno et Pieter est d’une autre nature que ce maïs qui pousse autour de la ferme.
Ce qui intéresse davantage le réalisateur (et scénariste), c’est la confrontation entre Janno et Pieter. On comprend un peu ce par quoi Pieter a pu passer, quand ils se retrouvent en ville un soir. Mais le plus important, c’est que Pieter semble pouvoir gagner vraiment du terrain dans l’affection de Marie. Une femme dont on comprend progressivement ce qui la pousse au plus profond de son cœur. Est-ce le simple désir d’affection vis-à-vis des enfants ? Pas si simple, car on va deviner comment et pourquoi Pieter est arrivé à la ferme. Il faut préciser que la famille comporte également trois filles, plus jeunes que les garçons. Trois séquences prennent une importance fondamentale :
D’abord une séquence qui laisse la porte ouverte à l’interprétation : Janno se réveille une nuit après un rêve où il a eu la joie de retrouver un autre garçon. Il pourrait s’agir d’un garçon mort quelque temps auparavant et que la famille aurait voulu « remplacer » en faisant venir Pieter (à moins que ce soit une réminiscence d’une enfance désormais lointaine où Janno avait un frère dont il était proche).
A la suite d’une virée en ville (il s’est retrouvé en mauvaise posture dans une bagarre), Pieter est mis un peu à l’écart quelque temps. Mais à cette occasion il discute et en apprend davantage sur la famille. Surprise : Janno aurait lui-même été adopté. Pieter ne se gêne pas pour asséner l’information à Janno à son retour à la ferme.
Enfin, séquence clé, avec la visite familiale au grand-père, le père de Jan. En tête-à-tête, le grand-père fait comme s’il ne reconnaissait pas Janno et surtout il lui assène une phrase pour affirmer fermement que les terres lui appartiennent, définitivement. Sous-entendu : Janno ne les possédera jamais.
Un film très intéressant qui conserve sa part de mystère (ou d’interprétation) jusqu’à la fin. On peut y voir le défaut d’un premier long métrage (de fiction) pas totalement maîtrisé. Selon mon ressenti, si le scénario est très intéressant, il est un peu touffu. Globalement, le film mériterait de gagner un peu en longueur, afin de mieux soigner la façon dont quelques situations sont amenées. Le réalisateur (Etienne Kallos) a le mérite de nous introduire dans une société qu’on connaît très mal, dans un continent peu montré au cinéma, en abordant des thèmes nettement plus originaux que le tout-venant. Il maintient bien l’attention du spectateur avec un scénario travaillé, ménageant régulièrement de réelles surprises pour le spectateur. Petit regret, les séquences s’enchainent pour apporter leur lot d’informations, parfois surprenantes. Tout cela manque un peu de liant ou de naturel dans les enchainements. L’ensemble est présenté sur écran large mettant bien en valeur l’étendue des paysages ainsi que la diversité des situations. Des personnages vraiment originaux bien servis par un casting réussi. Quelques scènes avec caméra sur l’épaule peuvent agacer légèrement, mais Etienne Kallos propose ici une œuvre de qualité, montrée dans le programme de la « Quinzaine des réalisateurs » du festival de Cannes 2018.