Les Moissons du ciel par Léonard Tarquin
L'histoire, après tout, n'a que peu d'importance. On est balancés d'entrée (après un générique au lyrisme un peu démodé) dans le bruit et le feu, et dirigés vers ce visage noir de crasse et de charbon. Celui de Richard Gere, dans l'un de ses plus beaux rôles. Dès lors, et comme souvent chez Malick, le narrateur (ici la petite sœur) nous emmène dans une sorte de réalisme saupoudré de poésie. Les personnages de Terrence Malick « errent ». Ils ont toujours cette mélancolie dans le regard, ce brin d'innocence, qui les rendent si attachants, et pourtant si lointains. Perdus d'avance, mais prêts à tout. Dans ce film au romantisme exacerbé, le réalisateur nous montre non seulement la misère sociale de (ce temps-là), la lutte des classes, mais aussi, et surtout, la misère des sentiments, dans un contexte où le bonheur ne dure jamais longtemps. L'errance de ce triangle amoureux est arbitrée par la petite fille, narratrice, qui assiste impuissante à l'apparition du « diable » dans leur vie, comme elle le dit elle-même. Ce qui frappe dans un premier temps, c'est le peu d'indication que l'on a sur les personnages. Ils parlent peu, et c'est par petites bribes que l'on découvre une certaine complicité entre eux. On sait du fermier, Sam Shepard, qu'il est à la tête d'une bonne petite fortune, qu' « il n'y a pas de mal en lui », et qu'il ne lui reste que peu de temps à vivre. On sait, dès le premier regard, qu'il tombe amoureux de la jeune Abby (Brooke Adams). On sait, encore dans un regard, que Bill (Richard Gere) n'a pas eu un passé tout rose, qu'il est marqué par la vie. On lit, dans son choix d'escroquer le fermier, un réel désespoir, et il semble que, dès cette prise de décision, rien ne va plus aller.
Il y a un peu du Huston de « Reflets dans un œil d'or » dans ce film, en moins dur et moins cruel peut-être, dans ces « non –dits », dans cet incessant jeu d'espionnage entre les personnages, et bien sûr dans le dramatique dénouement final.
Malick construit son film autour de la nature, que ce soit celle des hommes, ou celle qui les entourent. Et c'est, pour le coup, la même question pour tous ces films : jusqu'où la nature sauvage de l'homme est-elle prête à aller ? L'homme ne fait que tout détruire, sa faune, sa flore... Et tous ces êtres vivants ne font que lui rappeler « qui » il est.
Dans ce triangle amoureux, on ne sait pas qui vaut mieux que l'autre, on assiste seulement à une tragédie où le cœur, haineux ou amoureux, est omniprésent
dans les liens qui se tissent. On a de la peine pour ce fermier, mais on ne peut s'empêcher de s'attacher au personnage de Gere, tour à tour amoureux fou, prêt à tout, puis résigné, presque conquis par le lien qui grandit entre le fermier et elle. Le lyrisme lent et la magnifique photo du film nous offre un sublime moment de cinéma, où les êtres perdent peu à peu contact avec la vie, où un champ qui brûle provoque une explosion de sentiment. L'entrée de la scène de l'invasion de sauterelles est un bijou de mise en scène, la terreur augmentant à chaque plan. Sam Shepard tient presque à lui tout seul le film, tout en retenue, malmené, et finalement conduit à n'être qu'un homme touché dans son orgueil, devenant, dans les dernières minutes du film, un animal. Un animal qui doit tuer pour survivre. À la fin, il ne reste qu'elles. La première, Abby, a perdu les deux hommes qu'elle aimait et peut continuer son errance, le cœur blessé à jamais.
La note d'espoir vient de la petite fille, Linda, spectatrice comme nous de ce tragique destin, mais juste assez innocente pour continuer sa vie.
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