Après maintes pérégrinations, Bill et sa petite compagnie, composée de sa copine Abby et de sa petite sœur Linda, posent le peu qu'ils possèdent dans une immense ferme du Texas pour la saison des blés. Comme les Joads de Steinbeck, la famille de Bill est coutumière du rituelle des saisons et du labeur, habituée à trimer pour subsister. Peut-être même trop à son goût, lui qui, pourtant épris de liberté, à l'âme aussi usée que la corde de ses grolles et élimé que son pantalon. Ça tombe bien, le fermier qui les emploie n'en a plus pour longtemps, apprend-il malgré lui au détour d'un petit chapardage dans la pharmacie ambulante, et du haut de ses millions s'est épris d'Abby. L'aubaine est trop belle et Bill s'empresse de mettre au parfum sa tribu qui, après quelques hésitations justifiables, valide son plan : marier Abby au fermier pour, à sa mort prochaine, vivre enfin libre et à l'abri du besoin ("les riches ont tout compris, c'est si bon de vivre comme eux" moralise Linda).. Mais les voies du cœur sont impénétrables et rien ne se passera comme prévu pour Bill, Abby, et le fermier. Seul Linda semblera flotter au-dessus des méandres du destin.
De par ses ellipses, ses plans majestueux (la lumière de l'heure bleue dans l'immensité crépusculaire des champs de blé c'est quelque chose) et la narration gracile mais grave de Linda, le film à l'ampleur d'une parabole de la Bible. La propriété plantée au milieu du vaste champ de blé ondulant sous le vent et son bestiaire nombreux n'est évidemment pas sans rappeler le Jardin d'Eden et son arbre de la connaissance du bien et du mal, source de toutes les convoitises. C'est pour sa possession en effet, son fruit, ce qu'elle représente, que va s'abattre la colère divine, la folie humaine. Sauf que là où la Genèse présentait, toute misogyne qu'est la bible, la femme comme profanatrice et coupable du pécher originel, c'est ici l'homme qui en est le seul responsable. Les rôles s'inversent et si Abby est Eve, Bill est assurément Adam. Il est Adam et il est Caïn. Coupable du meurtre d'Abel son frère. La raison est en revanche toute autre : elle ne porte pas d'offrandes mais des jupes. Pourtant ni Bill ni le fermier ne portait en lui le diable plus que l'autre. "Personne n'est parfait, ni tout à fait diable, ni tout à fait ange" prophétise Linda. C'est donc la condition humaine et la naissance, et c'est tout aussi manichéen, qui dictent les actes et décident qui du diable et de l'ange aura le dessus et quand il le prendra. Linda se souvient du fermier : "Il n'y avait aucun mal en lui. On lui donnait une fleur et il la gardait pour toujours". Mais si le fermier était un homme meilleur que Bill, c'était simplement parce qu'il en avait les moyens. Financiers évidemment. Quand les nuées de sauterelles obscurcissent le ciel et s'abattent sur les cultures de blé, c'est le divin qui est à l’œuvre et qui achève sa sentence : il n'y aura pas dix plaies mais une seule et elle transformera l’Éden en Terre de Nod au terme d'un immense brasier.
De toute cette confusion et de cette turpitude masculine s'émancipe à la fin la figure féminine qui soumet sa vie à la liberté, la terre à ses envies. "Les femmes ont tous compris, ça doit être si bon de vivre comme elles".
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