Inférieur à l'original. Pour le moins.
Le film original dont est tiré ce film était un bon thriller ancré dans l'Amérique des années 1960, avec une performance d'acteurs de haut vol, qui faisait de ce thriller plus qu'une simple apologie de l'auto-défense. La morale était pessimiste, quelque chose comme : "La loi est impuissante dans certains cas, mais celui qui veut se faire justice lui-même est condamné à perdre son humanité".
(Ha, heu... spoiler alert)
Le film de Scorsese reprend fidèlement la plupart des éléments, mais rajoute un détail important : l'avocat persécuté, Sam Bowden, n'a cette fois pas témoigné contre Max Cady, mais était chargé de sa défense. Surtout, il n'a pas utilisé une pièce qui aurait pu valoir à son client un peu d'indulgence, car il était dégouté par cette histoire de viol. Cady revient se venger, et du coup la morale devient beaucoup plus simple : "Si tu juges les gens et que tu ne fais pas bien ton boulot d'avocat, un jour ou l'autre tu paieras les pots cassés". Peut-être le public américain était-il plus choqué par la faute professionnelle de Sam que par les crimes de Max, qui sait ? ^^
Le personnage de Max Cady est ici bien moins puissant que dans l'original, car il part dans tous les sens. Premier problème : ça m'arrache la gueule de dire ça car j'adore cet acteur, mais ici De Niro n'a pas la présence physique qui était celle de Mitchum. Oui, il a le corps parcouru de tatouages, oui il a une démarche parfois frénétique et fait des choses dégueulasses, mais il ne fait que rarement peur. Pourquoi cela ? Pas seulement à cause de sa chemise hawaïenne criarde ou de son accent du sud : désormais Max Cady cite Nitezsche, la Bible, Henry Miller, se lance dans de grands sermons, fait la leçon comme un professeur (ça se tient, il n'a pas l'air fou). Bref, on n'a pas peur, et on ne sympathise même pas avec lui. Il est abstrait, comme un ange envoyé par le destin pour punir Sam. Il est d'ailleurs multiforme : il se déguise en professeur de théâtre, invente au quart de tour une histoire pour embobiner une guichetière... Si on ajoute à cela qu'il semble indestructible à la douleur, et de manière bien moins vraisemblable que dans l'original, on a bel et bien affaire à une abstraction. Du coup on ne se passionne pas pour ce que peut faire ce personnage. Scorsese retrouve là un de ses défauts : il s'occupe trop de la forme, du message, et néglige du coup la cohérence de l'histoire. De Palma et Coppolla ne font jamais cette erreur, même à leur pire.
A cela s'ajoute une forme qui combine l'esthétique série B et certains effets un peu prétentieux, qui tombent à plat. L'usage de la pelliculle inversant le blanc et le noir, par exemple. Je comprend bien l'idée : les valeurs moralespeuvent être inversées, Max Cady n'est pas forcément le méchant. Mais dans ce cas, pourquoi utiliser cet effet dans la scène où Sam couche avec sa femme, ou dans le plan du début et celui de la fin (l'oeil de Danielle) ? cela semble aléatoire. Même souci avec la musique : elle est utilisée de manière trop répétitive, alors que le thème est excellent. Quel gâchis.
Les acteurs s'en tirent bien, et je comprends que Scorsese ait recentré la narration sur le personnage de Juliette Lewis : elle crève l'écran. Bon, et sinon les clins d'oeil qui consistent à utiliser les acteurs du film d'origine dans des seconds rôles à contre-emploi (Mitchum en flic, Peck en avocat véreux), c'est sympathique mais c'est un peu de la private joke de cinéphile.
Bien, maintenant un petit florilège de scènes ridicules :
- la scène où De Niro est déguisé en servante noire.
- la scène où De Niro passe plusieurs heures attaché par un mousqueton sous le plancher du 4X4 de la famille en fuite.
- la scène où on voit le bâteau au milieu de la tempête, avec la corde coupée de l'ancre qui flotte, et tout d'un coup... la main de De Niro surgit de l'eau et la rattrape miraculeusement !
- la mort de De Niro, qui coule dans l'eau avec seulement la moitié de son visage qui émerge, impassible. Peu avant il a coulé lentement en glougloutant des absurdités.
Est-ce une tentative post-moderne de Scorsese pour nous dire : ce n'est qu'un film, regardez je vous le montre, les scènes sont délibérément ridicules ? Non, je crois juste que c'est du mauvais goût. Finalement, ce que je retiens, c'est un certain nombre de plans qui fonctionnent bien quand le bâteau s'effondre sur lui-même. Là on trouve quelques audaces de caméra intéressantes.
Au total, un de ces films de Scorsese où l'on sent qu'il vit sur sa réputation. Il avait certes fait "Les affranchis" juste avant, on ne peut pas réussir à chaque fois. Mais clairement ici ce n'est pas le cas.