Dans le quartier contemporain et cosmopolite des Olympiades, trois jeunes adultes se rencontrent et se lient non sans peines. Chacun compose avec et malgré ses expériences passées : un corps et une sexualité meurtrie par des abus, un parcours sentimental foulé de nombreuses déceptions, un quotidien pauvre tant matériellement qu’affectivement, une vocation professionnelle remise en question… Emilie, Camille et Nora sont des personnages bien ancrés dans leur temps et dans leur espace de citadins : fragilisés par leurs désillusions, perdus dans leurs désirs, volatils dans leurs relations et en difficulté pour s’émanciper correctement de ce qui les tire chacun vers l’égarement.
Et c’est en se parant de nombreux faux-semblants, ou au contraire, en s’exposant finalement à l’autre avec authenticité, que chacun d’entre eux évoluera jusqu’à trouver sa juste place au sein de cette société atomisée. C’est ainsi qu’Emilie, en fin de film, avouera enfin ses sentiments avec un naturel touchant, elle qui se cachait derrière son air faussement désinvolte et son personnage hautain. C’est aussi ainsi que Nora, aliénée dans ses rapports sexuels et paumée dans la juste distance à tenir face aux hommes, tantôt inaccessible, tantôt éperdument affectueuse, trouvera la personne avec qui une reconstruction solide semble possible. Elle qui subit de plus l’humiliation d’avoir été confondue avec une actrice porno aux attitudes antinomiques, hypersexuelle et assumée, trouvera dans cette figure perturbante la clé pour questionner et affirmer son identité.
L’image est belle, contrastée et profonde, et les instants d’émotion sont très justement saisis. L’utilisation du noir et blanc, qui détonne avec l’ancrage temporel des sujets abordés, très actuels, permet de dépeindre avec beaucoup de finesse et de pudeur cette galerie de personnages ordinaires. Les scènes érotiques, fréquentes, ne sont pas présentées au hasard et sans fécondité : le sexe est la scène de la rencontre réelle avec l’autre, dans ce qu’il apporte de tendresse, de complicité, ou d’angoisse et de froideur. Les passages plus stylisés, comme les scènes ralenties, transmettent avec justesse les vécus de transcendance. Comme celui d’Emilie qui, au milieu d’une journée de travail harassante, s’offre une parenthèse charnelle et en revient légère, dansante et volante comme une plume…
Les scènes filant, chacun se réapproprie son individualité et son désir au rythme de confrontations souvent douloureuses, avec l’autre et avec soi-même. Se perdre dans des mensonges, des relations vides, des jobs frustrants, se confronter à des humiliations, des rejets… Rester avec les mauvaises personnes, quitter les bonnes… Audiard met en scène avec pudeur mais intensité l’intimité des liens humains modernes, tout en associant à la gravité de certains propos un message d’espoir : le temps apporte avec lui ses changements, son lot de déceptions et de départs, mais surtout son lot de rencontres ou de retrouvailles salutaires. Les réponses se trouvent parfois là où l’on ne les attendait pas : auprès de cette jeune femme dont on se disait détaché, auprès d’une figure intrigante derrière un écran, ou même au hasard d’une annonce de colocation. Et la bande-originale de Rone, énergique et actuelle, orne avec justesse cette fresque très authentique.