Il vaut mieux voir le verre à Demy plein
Voilà un film dont on peut dire beaucoup: ça commence avec de la pluie et un défilé de parapluie un peu bancal (la pluie semble mal faite, on remarque vite que les mêmes parapluies font plusieurs passages…), comme le début d’un film amateur.
On découvre ensuite l’amourette entre la délicieuse Geneviève et le garagiste sympa Guy qui passent leur temps à se dire qu’ils s’aiment et à se regarder dans le blanc des yeux: pas folichon donc.
Ajoutez à ça le fait que tout - absolument tout est chanté, comme pour renforcer le côté nian nian de l’histoire.
Il y a de quoi écœurer le badaud de l’an 2014.
Mais, et c’est là le talent de Demy, par superposition, tous les éléments du film s’emboitent si bien qu’il devient un objet tout a fait charmant et original.
Les décors et costumes d’abord: les costumes sont accordés aux décors, le tout parsemé de couleurs qui font intégralement partie de l’ambiance du film.
Une musique magique, qui s’accorde aux différentes parties de l’histoire avec beaucoup de grâce.
Une manière de filmer les acteurs et d’en saisir certaines émotions, certains dialogues à travers les miroirs, pour montrer les deux visages des protagonistes en même temps, leurs comportement.
Un vrai régal, chaque scène nous permet de vivre avec les personnages, de vouloir passer au travers de l’écran pour aller vivre dans se monde édulcoré.
Et puis une fois qu’on est pris dans l’histoire, on oublie un peu le reste, on attend la fin du conte de fée, et la réalité vient nous rattraper, rapidement, et Demy nous laisse tous seul sur le trottoir de Cherbourg, à pleurer dans la neige.
Parce que ce petit couple presque pénible du début a vieilli, parce que Geneviève est magnifique (et là je tire le chapeau que je n’ai pas à Catherine Deneuve), parce que malgré le chant on a mal pour eux, parce qu’on se dit qu’on vient de vivre une tranche de vraie vie dans un décor factice, et qu’il n’y a qu’au cinéma que du toc peut nous procurer de telles sensations (ou à la limite une belle bague en toc ça peut faire l’affaire aussi).
J’ai cru que j’allais être déçue, j’en suis ressortie bouleversée, et pas qu’à moitié (ça c’est la vanne sur Demy que je m’étais interdite de faire parce que trop facile... du coup je fais carton plein en l'utilisant en titre ET en conclusion de critique... je suis faible)