Les films d'espionnage n'ont pas manqué durant les 90's, allant de l'apogée de Jack Ryan sous les traits d'Alec Baldwin ou d'Harrison Ford à la résurrection brosnanienne du matricule 007, en passant par les débuts cinématographiques de l'équipe Mission Impossible, la parodie Austin Powers (Jay Roach, 1997) ou le paranoïaque Ennemi d'Etat (Tony Scott, 1998). Et si l'un des meilleurs films d'espionnage de cette période était français ? Le pétaradant Opération corned beef (Jean-Marie Poiré, 1991) ? Non. Nikita (Luc Besson, 1990) et son modèle qui a inspiré aussi bien Hollywood que le cinéma asiatique ? Non. On parle bien des Patriotes d'Eric Rochant.
Avant de créer une des séries françaises les plus connues dans le monde (Le bureau des légendes, 2015-), le réalisateur de Möbius se lançait dans cette grosse production Gaumont produite pour l'équivalent de 11 millions d'euros. On évoque souvent que les studios français ne soutiennent pas assez leurs projets ambitieux au profit d'autres peut-être plus bankables. Gaumont croyait beaucoup au film de Rochant, au point de déplacer sa sortie de février à juin 1994, suite à de bonnes projections-test en vue de le montrer à Cannes. Manque de bol, l'accueil sera beaucoup moins clairvoyant au festival et le film se paya un sacré bide commercial (321 469 entrées). Le film gagna en réputation au fil du temps et s'avère même projeté aux nouvelles recrues de la DGSE à cause du travail précis de Rochant également scénariste.
C'est probablement ce qui a fait bider le film à l'époque comme le suggère son acteur principal Yvan Attal. Selon lui, le film était long (2h22 quand même), noir et lent, à la manière d'un récit de John Le Carré (influence de Rochant). Autant dire qu'on était loin de l'équipe de Tom Cruise se faisant dessouder en moins d'une demi-heure ou de James Bond qui défile en char en plein Moscou. Les patriotes n'est pas un film d'action. Les rares moments sales sont glauques et l'interprétation de Sandrine Kiberlain dans l'un d'entre eux est parfaite. Elle semble réellement effrayée par ce qu'elle a vu, loin des espions incarnés par Attal, Bernard Le Coq ou Emmanuelle Devos. Elle était un appât, pas une espionne et cela fait toute la différence.
La froideur des agents est palpable, ne semblant s'humaniser que très rarement (cf la relation ambiguë entre Attal et Kiberlain). Ce qui n'empêche jamais d'être captivé par ce qu'ils font, d'autant que le film se base sur deux affaires bien précises s'étant déroulé durant les 80's (l'Opération Opéra et l'affaire Jonathan Pollard). Evidemment, Rochant ne fait pas des adaptations littérales des affaires en question et il change les noms, mais il est assez précis pour voir la filiation.
On voit alors que tout est fait pour que les espions gagnent : sexe avec enregistrements, manipulations, écoutes... Tous les coups sont permis pour arriver à ses fins. "La manipulation est notre métier" dit l'accroche de l'affiche. On ne pouvait pas mieux résumer le sujet de cet excellent film, voyage aussi pertinent que très bien écrit dans l'espionnage israélo-français.