deux jolies fleurs dans une peau de vache.
Et si la curiosité de l’année était bel et bien ce film tchécoslovaque datant de 1966 ? Plus de 45 ans plus tard, le film de Vera Chytilova, s’il a perdu de sa force politique, est toujours aussi impertinent, poétique et expérimental.
Il convient d’abord de remettre les Petites Marguerites dans son contexte, celui de la Nouvelle Vague Tchécoslovaque, annonciatrice, par sa soif de liberté, du Printemps de Prague en 1968 . Si Milos Forman (Au feu, les Pompiers) et Jiri Menzel (Trains étroitement surveillés) sont les deux figures emblématiques du mouvement, Vera Chytilova n’est pas non plus à sous-estimé. Il faut dire que la cinéaste a choisi une voie moins évidente, celle tout d’abord du documentaire et du cinéma-vérité puis ensuite, celle d’un cinéma de fiction, certes, mais volontairement expérimental. Les Petites Marguerites, son premier long-métrage, s’inscrit totalement dans cette veine.
Marie la brune et Marie la blonde passent leur temps à s’ennuyer et à rêvasser. Dès lors leur occupation favorite va être de se faire inviter par des vieux messieurs respectables et ensuite de les éconduire sans ménagement, en les mettant de force dans un train : les jeunes demoiselles ont l’art et la manière de sauter en marche au départ du train (ce qui nous vaut quelques moments dignes de Mack Sennett). Les jeunes demoiselles vont pousser plus loin leur art de l’impertinence et leur amour du désordre, mettant le bordel lors d’un spectacle de cabaret ou détruisant, avec force et gourmandise, un énorme banquet (pour une soirée entre cadres du parti ?) soigneusement préparé jusqu’à la caricature. Cette impertinence – et c’est là un euphémisme – n’est pas gratuite. L’action des deux jeunes femmes est aussi poétique que politique. Les images de la Seconde Guerre Mondiale, archives d’explosion et de destruction, qui parsèment le film, ne sont pas mises là par hasard. Marie et Marie font le même constat que les Dadaïstes à leur époque (pour la « grande guerre »), les idéologies ont conduit l’Europe au désastre. Il convient dès lors de se moquer, de les tourner en ridicule dans un geste artistique et nihiliste. Les héroïnes le disent elles-mêmes en ouverture : le monde est corrompu, alors autant l’être nous aussi. La critique est moins radicale que pour l’Age d’or mais les deux jeunes femmes apparaissent d’autant plus jeunes et impertinentes que le monde, dans lequel elles évoluent, semble figé et vieillissant ; presque bourgeois pourrait-on dire. 47 ans plus tard, ce discours a un peu vieilli et le parallèle fait avec les images de destruction de la seconde guerre mondiale sera perçu aujourd’hui comme premier degré. Le perpétuel jeu de massacre, auquel se livrent avec délectation les demoiselles, peut aussi agacer à la longue.
Mais l’essentiel n’est pas vraiment là. Un film, c’est un fond mais aussi une forme et celle-ci prend une importance considérable. Vera Chytilova ose toutes les libertés. Ici, la logique qui sous-tend l’espace se fait par association d’idées : les Marie passent de leur chambre, en intérieur, à un véritable jardin d’Eden, en extérieur, parce qu’elles y pensent. Tout simplement. Dans son ensemble, le montage conduit à des trouvailles visuelles. Le défilement même de la pellicule n’est pas chose stable : les images du train ralentissent, s’étirent jusqu’à devenir de l’art visuel. La chromie des plans passent par toutes les couleurs, du noir et blanc à une explosion pop. Avec tout ça, l’idée classique de raccord devient dès lors superflue : Les Petites Marguerites se rapproche plus de la forme de la poésie que de celle du roman (ou de la nouvelle…le film est court), rappelant aussi le Godard des années 60. Les dialogues aussi ne suivent pas une logique classique et s’apparentent à un théâtre de l’absurde de Beckett. Tout comme les bruitages où un bras qui se lève émet le son d’un grincement de porte. Vera Chytilova expérimente à tout crin mais elle le fait toujours avec détachement, poésie et féminité. Pour la peine, tout cet aspect du film, peut-être le moins négligeable, mérite encore d’être vu. Et surtout ressenti.