Les petites marguerites est porté par une vitalité incroyable, et par une belle inventivité. Nous y suivons les errances de deux femmes qui éprouvent le poids de l'existence au point que leurs gestes grincent comme une mécanique grippée, contrairement à la mécanique bien huilée apposée aux images de guerre du générique. Une solution trouvée à cet état de fait : elles vont essayer la dépravation. Dès lors le film sera un espèce de descente aux enfers volontaire. On pense à La grande bouffe, forcément, mais en beaucoup plus sympathique.
Alors bien sûr, c'est absurde, et dans les conventions refusées figure le recours à une trame narrative traditionnelle. Mais le simple fait de voir des femmes se comporter comme elles en ont envie n'est-il pas déjà subversif, en soi? Même si les tours semblent se retourner toujours contre leurs instigatrices : c'est qu'après tout, leurs aspirations sont étouffées d'avance par la violence de la société. Lors d'une étonnante séquence dans un monte-charge seront d'ailleurs renvoyées dos à dos la "Culture" et la violence.
Le film sera censuré, et sa réalisatrice empêchée de tourner pendant des années : si le printemps fait fleurir les marguerites, ce n'est pas le cas du printemps de Prague!
Un mot sur le carton final, dont je ne révèlerai pas le texte : on ne peut qu'en applaudir la pertinence!
Dans les bonus du DVD malavida on trouve l'information que si le film utilise tant les filtres, avec des recours au noir et blanc, c'est à cause de la difficulté à se procurer les pellicules couleur, et donc ils en manquaient. Il est impressionnant de voir comment le film tourne cela en une force, et les effets psychédéliques qui l'émaillent gagnent en pertinence en en sachant la nécessité : de ce qui aurait dû s'avérer une faiblesse, la réalisatrice a fait une force du film! Ainsi ces effets qui auraient pu fatiguer par leur aspect un peu vain deviennent simplement l'expression du pragmatisme le plus pur. Et aussi un espoir : l'art, comme la vie (obscure citation d'un important ouvrage scientifique), trouve toujours un chemin.