Les malheurs de Sophie.En ces seventies finissantes,dix ans après mai 68,Sophie est l'incarnation de la femme moderne libérée.Elle est divorcée,partage un appartement avec deux copines,fait de la moto en roulant à fond,drague les mecs,les consomme et les jette.Alors,heureuse?Eh bien non justement."Tant de liberté pour si peu de bonheur,est-ce que ça vaut la peine?",comme le faisait chanter Michel Berger à France Gall.Sophie est le prototype d'une génération conditionnée par un féminisme hard mais ne parvient pas à trouver son équilibre entre ce comportement singeant la masculinité et ses aspirations réelles beaucoup plus romantiques."Les petits câlins" est le premier film de Jean-Marie Poiré,et on sent qu'il est un peu vert.Jeune scénariste en vogue à l'époque,il ne devait pas le réaliser mais a fini par le faire pour des raisons de commodité budgétaire.Ce coup d'essai d'un futur géant du box-office manque de nerf et adopte un ton hésitant.Il est vrai que la genèse de sa production y contribue,le film étant le fruit de l'association de Gaumont,grosse boîte spécialisée dans le cinéma très grand public et dirigée par Alain Poiré,ci-devant père de Jean-Marie,et La Guéville,maison plus modeste aux ambitions plus auteuristes,représentée ici par son patron Yves Robert,par ailleurs cinéaste et comédien.Ce mélange fonctionne moyennement et donne un résultat un peu boiteux.Au premier abord,on croit avoir affaire à une comédie,mais c'est assez trompeur.Ou alors il s'agit de ce qu'on appelle une comédie dramatique.Certes,l'ambiance est légère et décontractée,mais les gags sont rares.Et ceux qui émaillent le film sont ou lourdingues et usés,celui de la camionnette qui part toute seule ou celui de la banane flambée,ou empreints de noirceur,comme ceux de l'appartement vandalisé ou de la vente de la voiture.Finalement,seul le sketch du voisin gueulard qui exige qu'on baisse le son de la musique puis revient demander qu'on le remonte est vraiment drôle.La faiblesse des dialogues pénalise l'oeuvre,ainsi que l'utilisation très réduite des seconds rôles.Tout est centré sur Sophie,ce qui laisse peu de place pour exister aux autres protagonistes,pourtant intéressants.On aboutit in fine à un film doux-amer quelque peu bancal dont les limites font aussi la singularité et le charme diffus.D'autant qu'il y a également de réelles qualités là-dedans,à commencer par la valeur documentaire saisissante de cette histoire reflétant parfaitement l'air du temps d'il y a quarante ans.Les années 70,on y est,des coiffures aux vêtements en passant par les véhicules.Des gens qui picolent volontiers,qui fument dans les lieux publics,qui baisent avec des partenaires multiples sans qu'il soit question de capotes,qui font de la moto sans casque.Un périph pas saturé,des quartiers HLM tranquilles où on ne voit que des blancs,où il n'y a pas d'agressions ni d'immeubles tagués.Le paradis perdu en somme,les derniers soubresauts de la liberté,juste avant la fin de l'innocence.Car le film contient aussi,en germe,tout ce qui va dans les décennies suivantes détruire le tissu social,en France et ailleurs:le chômage,les emplois précaires,les colocations,les enquêtes d'opinion,le divorce,la garde des enfants qu'on s'arrache,les supermarchés,le mercantilisme.Parce que "Les petits câlins" fait massivement dans le placement de produits,ce qui permet de mesurer,dans un monde où tout le reste change,la pérennité des marques.Apparaissent ainsi au détour de nombreuses images des logos qui sont encore bien présents aujourd'hui,de Pirelli à Martini,d'Ibis à Heineken,de Darty à Coca-Cola,entre autres.Et puis il y a bien sûr ce qui constitue le coeur du film,la montée du féminisme au détriment du patriarcat,ce qui se traduit par une masculinisation des femmes,qui deviennent indépendantes et dominatrices sans pour autant y trouver leur compte,et une féminisation castratrice des hommes entraînant chez eux dévirilisation et déresponsabilisation.En ce sens,le film,qui semble se vouloir féministe,aboutit au contraire à montrer des filles qui croyaient gagner sur tous les tableaux et ont en réalité tout perdu en cet hasardeux renversement des rôles.Les cinq personnages principaux sont interprétés par de jeunes acteurs prometteurs,parmi lesquels seule Josiane Balasko deviendra une star.Une Balasko méconnaissable,juvénile,mince et nasalement développée."Et Josiane avait encore son nez",aurait pu chanter Nicolas Peyrac.Complexée par ce long appendice,elle se fera ensuite opérer par un chirurgien esthétique n'étant autre que le père de Christian Clavier.Amusant quand on sait que le médecin joué par Clavier,futur complice privilégié de Poiré, dans "Les bronzés" devient chirurgien esthétique dans le troisième opus de la saga.Balasko ne devait pas au départ tenir ce rôle,qui était destiné à sa copine du Splendid Marie-Anne Chazel,la femme de Clavier donc.Mais Yves Robert a tenu à imposer Josiane.Le producteur,gauchiste convaincu,préférait sans doute le côté popu de Balasko.A raison d'ailleurs,elle est parfaite en bonne copine pragmatique.Les deux autres comédiennes auront été des étoiles filantes,décédant prématurément en se suicidant,Dominique Laffin en 85 à 33 ans et la charmante Caroline Cartier en 91 à 42 ans.Laffin tient le premier rôle,celui de Sophie,et elle est juste magnifique.Cette actrice rare,belle et sexy,d'une énergie démente et d'une justesse scotchante,est l'atout maître d'un film qui sans sa charismatique présence pourrait être complètement raté.Elle restitue à merveille les fêlures de son personnage,qui correspondaient probablement en partie aux siennes.Elle aura d'autres rôles importants,mais dans des films d'auteurs peu médiatisés parmi lesquels on peut retenir "La femme qui pleure" de Jacques Doillon ou "Tapage nocturne" de Catherine Breillat.Il est à noter que la gamine qui joue sa petite fille dans "Les petits câlins" est réellement sa fille,qu'elle a eue avec le chanteur Yvan Dautin.Et cette petite fille,c'est la politicienne Clémentine Autain,la harpie féministe d'extrême-gauche.Elle était pourtant si mignonne à l'époque.Les deux mecs,eux,ont fait de jolies carrières de seconds rôles.Roger Mirmont,acteur doué et sensible, a eu plusieurs fois sa chance en vedette mais les films n'ont pas marché.Il est un peu triste de le voir aujourd'hui dans des pubs.Le grand-père des spots vantant le fromage de chèvre St-Loup,c'est lui.Ce qui est rigolo,c'est que dans sa première scène dans le film,il répond à un questionnaire concernant la consommation de fromage.Jacques Frantz,second rôle de grande classe,est devenu au fil du temps très gros,alors que dans "Les petits câlins" il incarne un sportif végétarien,bête de sexe,prof de yoga et footballeur,qui proclame qu'il prend soin de son corps.Pour conclure,comme dirait Jean-Claude Dusse,évoquons les formidables comédiens apparaissant brièvement.L'immense Jean Bouise est là,cinq ans avant de participer au "Dernier combat",le premier Luc Besson,et de devenir,avec Jean Reno,l'acteur fétiche du réalisateur.Sa femme est la grande Claire Maurier,actrice de complément de luxe.Jean-Jacques Moreau,avec son fameux visage long et émacié,est l'ex-mari de Sophie.Il n'a pas de scènes ici avec Mirmont mais ils étaient partenaires l'année précédente dans "Le mille-pattes fait des claquettes".Françoise Bertin,qui est devenue aujourd'hui la mamie de choc du cinéma français dans des films tels que "Ensemble,c'est tout" ou "Incontrôlable",est là aussi.Marc Eyraud,le célèbre inspecteur Ménardeau de la série télé "Les cinq dernières minutes" surgit au détour d'une scène,en compagnie de Marie Déa,qui eut son heure de gloire dans les années 40,en étant par exemple la jeune mariée des "Visiteurs du soir".Et surtout,dans le rôle du voisin irascible,il y a Gérard Jugnot,qui sera le mari de Balasko dans "Les bronzés" et ses suites,et dont la présence confirme la proximité de Poiré avec l'équipe du Splendid,dont il deviendra en quelque sorte,avec Patrice Leconte,le réalisateur officiel.

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le 8 mai 2017

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