Quelques années avant la mort de Steve Jobs et longtemps avant les biopics qui lui seront alors consacrés, Martin Burke livrait, pour la télévision, un film autour de l’ascension parallèle des firmes Apple et Microsoft de la fin des années 70 au cœur des eighties, tentant de raconter les hommes qui ont posé, combat de pirates pilleurs,
les bases de l’informatique domestique d’aujourd’hui.
Une curiosité anecdotique bourrée de défauts et saupoudrée de quelques bonnes idées, qui a le mérite de mettre en scène, face à face, Steve Jobs et Bill Gates.
Prenant la forme d’une fiction aux allures passagères de documentaire, narrée de deux points de vue – celui de Steve Wozniak côté Jobs, de Steve Ballmer pour Gates – et tâchant de relater les débuts de chacun, la création de leur firme respective, leur rencontre et la rivalité grandissante, trouvant son apogée en 1984 lors de la sortie quasi simultanée du Macintosh et des premiers systèmes d’exploitation DOS-Windows. Le procédé narratif est expliqué d’entrée, dès le premier plan où Jobs s’adresse au spectateur face caméra jusqu’à ce que celle-ci se décale pour découvrir le contexte, l’entrepreneur explique au réalisateur de son film publicitaire, Ridley Scott, son objectif :
Si on est ici, c’est pour faire une entaille dans l’univers.
Le corps du film prend rapidement des allures très classiques avec un retour aux seventies et
une chronologie linéaire sans profondeur
qui se contentera souvent de survoler divers épisodes pas toujours indispensables pour le cœur du récit. Hippy fainéant à Berkeley, barbe et cheveux longs, pieds nus, Steve Jobs se prend pour un artiste, se pose la question de sa filiation et voyage en Inde en quête de spiritualité sans jamais réellement s’ouvrir à l’autre. À plusieurs milliers de miles, sur le campus d’Harvard, Bill Gates étudie sagement et rêve déjà de développer un système d’exploitation pour le nouvel Altair.
C’est quoi ? Du porno pour ingénieur ?
Tandis que Mike Markulla débarque, deus ex machina, au garage où Apple Computer traficote son début incertain d’existence, avec une offre d’un quart de million pour lancer l’affaire, que Steve Jobs trouve à y redire sur le fond tout en acceptant au grand soulagement de Steve Wozniak, Bill Gates se retrouve en cellule pour une nuit suite à un énième excès de vitesse. Le scénario joue sur
deux tableaux inégaux,
optant pour un semblant d’hagiographie dépassant les défauts du génie californien d’un côté, caricaturant l’étudiant un peu autiste d’Harvard de l’autre. Drame, survol de questions de fond pour le complexe manipulateur pervers qu’a été Steve Jobs, ambiance potache et décalée, rire condescendant pour les manipulations décomplexées qui ont fait le succès de Bill Gates. Avec passages obligés : la première rencontre au San Francisco Computer Faire de 1977, où le président de Microsoft intimidé vient se présenter à l’imbuvable dirigeant d’Apple qui ne lui prête aucune attention ; Steve Jobs quelques années plus tard vient rencontrer sa fille, d’un regard et d’un sourire qui arrangeraient magiquement quatre ans d’absence et de déni, dans une séquence absolument inutile ; la confrontation tendue des deux hommes quand l’un s’aperçoit qu’il a été dupé par l’autre et la mise en exergue alors du caractère changeant de Jobs autant que de la finesse manœuvrière de Gates… Le scénario développe autant de pistes intéressantes que de séquences ineptes, se contente de suivre une chronologie un peu arrangée sans enjeu précis, s’éparpillant dans les complexes méandres difficiles à cerner d’une relation qui n’en a jamais été une, et ne creuse malheureusement pas suffisamment les points essentiels de la confrontation. En gros, le film se perd en tentant de suivre plusieurs tableaux à la fois quand évidemment le budget et le format ne le permettent pas…
Une décoration seventies kitch pour une bonne partie du film, puis eighties bien laid,
aspect téléfilm des années 80
assumé jusqu’au générique de fin. Une bande-son pop-rock plutôt sympathique et souvent judicieuse dont l’impact est minimisé par un découpage et un montage sans imagination. Des dialogues entre vide intégral et déclamations perchées insensées… Le produit télévisuel présente quelques aspects intéressants – d’ailleurs le pillage effectué sans scrupule par Joshua Michael Stern et son scénariste Matt Whiteley pour Jobs, et qui saute aux yeux, en atteste – mais le petit budget et
l’immense absence d’ambition de la réalisation
ne peuvent assumer l’ensemble des pistes proposées par le scénario.
Avec une fin abrupte, qui n’en est une que parce que c’est le moment choisi pour arrêter une indigeste narration qui s’éparpille, mais qui laisse autant de questions irrésolues que d’ouvertures non abordées, Pirates Of Silicon Valley confirme le manque d’ambition des productions télévisuelles et le manque de talent autant que de personnalité de son réalisateur Martin Burke, technicien maitre d’œuvre, conducteur de travaux, plus que cinéaste créatif, malgré ce choix assumé de l’esthétique eighties de bout en bout. Pas une once de mise en scène, des comédiens en roue libre, un côté cheap assumé certes mais narrativement appauvrissant, les rares pistes à creuser délaissées sans regret,
le téléfilm n’a d’intérêts qu’anecdotiques
pour les passionnés mais ne séduira, à aucun moment, le cinéphile, aussi bon public soit-il.