Les pires, de Lise Akoka et Romane Gueret s’ouvre sur un casting. On y voit Ryan, (Timéo Mahaut) un jeune garçon agité répondre aux questions de Gabriel, un réalisateur exigeant. Il veut faire un film social sur des adolescents de la cité de Picasso à Boulogne-Sur-Mer.
Habité par un réel désir de véracité, il choisit, à la grande surprise de tous, les élèves les plus turbulents et instables de la cité. Quoi de mieux pour obtenir un jeu d’acteur “juste” que de faire jouer aux comédiens leur propre vie ou du moins, quelque chose qui s’en rapproche fortement ; quitte à les provoquer pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. La force de ce film, c’est qu’il se met lui-même en scène, presque à la manière d’un documentaire et s’articule brillamment en trois dimensions.
D’abord vient la mise en abyme évidente qui consiste à faire un film qui montre la façon dont on fait un film. Mais très vite, les pistes sont brouillées. Dès le début, on se demande si les premières images du casting qui ouvre le film ne sont pas des images originales de Timéo Mahaut. Au bout de quelques minutes déjà, on ne sait plus qui de l’acteur ou de l’enfant nous est montré à l’écran. Très vite, on se demande si on regarde un documentaire ou une fiction. On entre dans la dimension réflexive du film.
Pour réaliser Les Pires, les réalisatrices ont réellement dû faire passer des castings aux enfants que l’on voit à l’écran. Elles ont cherché “à leur donner la parole, à montrer leur talent comme leur sensibilité, leur humour ou leur intelligence” affirme Lise Akoka. Les deux réalisatrices ont été dans la même position que le personnage fictif du réalisateur Gabriel. Sous couvert de fiction, Les Pires ne traite pas seulement d’un tournage de cinéma mais de son propre tournage et pose la question éthique de savoir jusqu’où peut-on aller au cinéma.
On peut donc dire que Les pires est un film social réflexif qui illustre le tournage d’un autre film social. Cette dimension est confirmée par Romane Gueret lorsqu’elle affirme que “dans le film, chaque enfant du film tire quelque chose de différent du tournage auquel on les voit participer tout en rajoutant qu’elle espère que "ça a réellement été le cas”.
Plus largement, Les pires questionne sur l’éthique au cinéma : qu’est-ce que ça implique de filmer des enfants issus de milieux précaires et surtout (et tels sont les mots de Lise Akoka) “Quelles sont les limites à ne pas franchir ? Jusqu’où peut-on aller pour l’art, pour construire sa vision d’un message important ?
Les pires est un premier film magistral. Non seulement il montre le meilleur de ceux qu’on pourrait nommer à tort “les pires” mais aussi, il aborde l’éthique au cinéma tout en questionnant la raison de sa propre existence en tant que film.