Certes, on retrouve dans Les pires, derrière les lieux déshérités, les personnages marginaux et leurs tares sociales le cinéma des frères Dardenne ou de Dumont ; mais plus encore, de Ruben Östlund en raison de la critique directe non seulement à l’égard d’un certain type d’art et de cinéma mais plus encore d’une mentalité gauche caviar condescendante à l’altruisme ambigu.
En effet, la critique est omniprésente, et ce dès le début du film lors des castings qui révèlent la distance considérable qui peut séparer ces jeunes en perdition et l’équipe de casting, notamment le réalisateur qui en prend franchement pour son grade : les questions stéréotypées, mal posées, à côté de la réalité vécue traduisent une méconnaissance affligeante du « matériau » du film, qu’on traite avec une maladroite et artificielle sympathie – qui n’est autre que regard hautain. Puis, il y a cette scène où le réalisateur éprouve une admiration béate face à un mur défoncé d’immeuble HLM devant lequel n'importe qui passerait sans s’arrêter, claire raillerie dirigée autant aux pseudo-artistes bavant devant le laid qu’aux pseudo-gauchistes s’émerveillant devant le quotidien morose des plus démunis. Ensuite, comment ne pas citer cette scène de manipulation à la Pialat, la plus évidente de toutes, où l’on attend du jeune acteur qu’il pète les plombs ? Enfin, les petites attentions portées à ce même jeune (places de concert), ayant pour but de le fidéliser et d’éviter qu’il ne quitte le tournage comme sa sœur, renforcent la dimension manipulatrice émotionnelle du cinéaste. N’oublions pas non plus ce voyeurisme dissimulé dans la scène de sexe, tout comme cette présence effectivement gênante de l’assistant homo qu’il faut tout de même protéger, droits gays obligent.
Cependant, cette critique, très ironique et sournoise, n’est pas si facile à saisir aux premiers abords ; on croit d’abord à un manque d’expérience du cinéaste ou de son équipe, ou tout simplement à un mauvais film du duo de cinéastes ; ce n’est que lors de la scène de bagarre dans la récréation où le gamin fait une crise que tout devient définitivement clair. Or si Les pires a pour premier objet d’étude le cinéma à travers la mise en abyme, et qu’il n’hésite pas à flinguer certaines pensées et pratiques, il livre en même temps une histoire, inspirée du docu-fiction, qui se veut attachante, proche des acteurs, empathique, sans négliger de montrer les maux dont souffre cette société délaissée, ce qui permet de rendre le film humain et de nous placer à hauteur d’hommes.
Lise Akoka et Romane Guéret, qui avaient signé la sympatoche websérie de fiction « tu préfères » sur Arte, et dans laquelle elles se frottaient déjà à une jeunesse socialement défavorisée, à son langage, à sa vision à travers un format hybride, réalisent ici la prouesse de mêler fiction, fiction dans la fiction et réalisme documentaire, tout en restant cohérente.
Un film double, formellement moderne et riche de sens.
7,5/10