Au-delà de son esthétisme kitsch propre au début des années 1980 qui pourrait en rebuter certains, Les Prédateurs reste le brillant premier long-métrage de Tony Scott. Brillant de par sa sophistication scénaristique et sa profondeur mélancolique.
Adaptation du roman éponyme de Whitley Strieber, l'homme derrière l'histoire originale de Wolfen, Les Prédateurs parle essentiellement de la perte des valeurs, aussi morales ou immorales qu'elles soient. Dans un New York ultra eighties où le mythique groupe Bauhaus joue dans un petit club du mouvement gothique, Scott nous plonge instantanément dans une époque désabusée où libertinage et échangisme se métamorphosent en sacrifice rituel provenant d'un temps encore plus ancien. En quelques scènes seulement, le cinéaste impose un style qu'il a appris à magnifier lors de ses précédents travaux publicitaires et en s'inspirant des vidéo-clips diffusés 24h/24 via la chaine musicale MTV. Une artificialité néanmoins pessimiste, nimbée d'une poésie relativement désuète qui offre un indéniable charme à un métrage qui s'éloigne considérablement des films de vampires traditionnels. On pourrait peut-être relever une analogie avec le travail d'Harry Kümel sur Les Lèvres Rouges où Delphine Seyrig incarnait déjà une comtesse Bathory fascinante et sanguinaire dans un univers contemporain hostile et rationnel.
Dans Les Prédateurs, Catherine Deneuve est Miriam, une mystérieuse déesse d'origine égyptienne, d'apparence sophistiquée et glaciale, qui a traversé les âges et ne s'acclimate guère à la grande fureur du XXe siècle. Son amant depuis 300 ans est John, un musicien fasciné par celle qui l'a vampirisé et qui jouit pleinement de son immortalité. Cependant, si Miriam peut offrir l’éternité à ceux et celles qu’elle a choisis, elle ne peut leur garantir de les aimer toujours, alors que l'amour est l'ultime ingrédient de l'alchimie subtile qui leur assure de ne pas vieillir. Et malheureusement pour John, Miriam s'amourache de Sarah, une brillante scientifique spécialisée dans le vieillissement des cellules. John en subit alors les atroces conséquences...
Véritable ode sur la décadence, la perte de la jeunesse, le pouvoir et la mort, Les Prédateurs traite également avec pertinence le thème du désespoir face à l'utopie de l'amour éternel. L'affaissement physique de John, sous la férule du maquilleur Dick Smith, reste en effet l'allégorie du flétrissement des sentiments amoureux qui l'unit à Miriam, elle qui a déjà reporté son attention sur celle qui sera sa prochaine compagne. Le titre français, Les Prédateurs, illustre par ailleurs assez bien la cruauté que lui confère ce désespoir, à l'image du meurtre de l'adolescente violoniste qui ne fera retarder que de quelques minutes le processus de vieillissement de John, remarquablement interprété par David Bowie.
Bercé par les géniales compositions de Franz Schubert, Maurice Ravel ou encore Léo Delibes, le film aborde sans cesse les rapports de force qui existent entre les divers personnages et se montre résolument cynique à cet égard. Car la quête de l'éternité, c'est surtout celle de la puissance et du pouvoir, celle qui permet d'agir en toute crédibilité et de manipuler les autres. Et en ce sens, Les Prédateurs en est la parfaite représentation cinématographique.