David Bowie et Catherine Deneuve jouent les vampires sans jamais sortir les crocs. Le premier film de Tony Scott bénéficie de ce casting exceptionnel autant que d’une image particulière, recherchée, crépusculaire, et



raconte l’amour autant que la soif :



The Hunger, cette faim toujours insatiable de jeunesse et de compagnie.


Costumes noirs, esthétique gothique glam qui paraitrait marquée, kitsch, dans d’autres métrages, mais qui ici raconte un univers particulier de décadence et d’enfermement : les personnages principaux ne voient plus la lumière, désirs et espoirs aveugles, condamnés par leur condition d’éternité à s’isoler tant que possible de ces vies normales qui s’écoulent autour d’eux. Dès la première séquence, cuir et lunettes noires dans une boite de nuit, musique électronique et montage anxiogènes, Miriam et John Blaylock ramènent un couple de proies chez eux, les égorgent et s’y abreuvent avant de brûler les corps. Le docteur Sarah Roberts travaille sur un remède au vieillissement prématuré des enfants atteints de progeria, la maladie des enfants-vieillards. Quand l’amour de Miriam pour John s’étiole, l’éternité le quitte, il n’a plus que quelques jours à vivre. Pour le remplacer, la belle vampire jette son dévolu sur le docteur Roberts.


Jeux d’ombres portées, contrejours et silhouettes dans des pièces sombres, ambiance crépusculaire, la lumière de Stephen Goldblatt accompagne le récit, l’enveloppe d’une atmosphère idéale. Le tâtonnement dans les ténèbres raconte la peur de l’inconnu des personnages, leur choix inéluctable de solitude dans leurs différences. L’image peint un tableau christique, voiles et colombes, lors de la mise en bière de John Blaylock et ajoute à la forme éminemment picturale de l’œuvre :



un film de vampire non conventionnel,



lent et anxiogène, rythmé de quelques pics d’angoisse où se développent d’intenses montages émotionnels.


Le choix des musiques aussi, Le Gibet de Maurice Ravel, un extrait de Jean-Sébastien Bach, emplit l’air d’une mélancolie intemporelle, porte l’angoisse confortable et inéluctable de cette condition, condamnation des personnages.


David Bowie sublime la première moitié du film. D’abord droit, avenant et austère à la fois, il finit courbé par le vieillissement soudain, fardé de maquillages l’amenant à des âges qu’il n’atteindra plus, au réalisme impressionnant avant de le dissimuler totalement, de l’effacer sous le gras flasque de l’abandon et du désespoir. Les portraits troubles de Susan Sarandon sous la douche, derrière la vitre, ou de Catherine Deneuve à travers de fins voilages mènent à une scène de tendresse, de caresses et d’épanchement mémorable, magnifique de sensualité et d’angoisse. Les deux comédiennes sont belles, magnifiques. Catherine Deneuve, évanescente, incarne à merveille l’impassible apparition et le désagrègement final, imprévu ; Susan Sarandon affirme un personnage passionné aux convictions ébranlées, portée par la curiosité, dévorée par l’inconnu.



Tous vivent et meurent de cette faim de l’autre



qu’ils cherchent à épancher quel qu’en soit le prix : est-ce que l’on vit sans l’amour de sa vie ? est-ce que l’on survit de l’autre ? L’éternité de l’amour n’a qu’un temps, que devient-on quand le sentiment s’étiole, disparait ?


Tony Scott signe un premier film admirable, où la forme sert le propos, où la lumière joue constamment vers une ambiance générale, ayant retenu là les leçons des films de son frère Ridley Scott (qui a déjà réalisé The Duellists, Alien et Blade Runner) tout en s’essayant à autre chose. Un film évanescent porté par un couple de stars éternelles, une sombre désillusion de l’incertitude des sentiments, de la condamnation qui nous pousse, vampires de chair et de sentiments, à rechercher l’autre toujours malgré les morceaux de soi qu’on y laisse,



la jeunesse qu’on y perd irrémédiablement.


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