Texte publié le 28/05/17 sur ScreenMania :
https://www.screenmania.fr/film-critique/les-proies-sofia-coppola-2017
Soyons honnêtes : il est on ne peut plus tentant de coller le dernier film de Sofia Coppola contre un mur et de le fusiller en bonne et due forme. Les Proies pose toutefois la question intéressante d’un remake – ou plutôt d’une nouvelle adaptation, pour ce que cela vaut – d’une précédente œuvre n’en ayant pas besoin, mais dont les thématiques de fond et de forme pourraient coller à la fille à papa préférée de la Croisette. Hélas, Coppola endosse l’habit du moine copiste et singe séquence par séquence l’immense film de Don Siegel. Par chance, l’ersatz ininspiré d’un chef-d’œuvre est un film simplement médiocre, mais pourtant son meilleur depuis Lost in Translation.
Contrairement à d’autres appropriations de classiques (encore que, la question du classicisme se pose), il est ici hors-de-question de faire fi des Proies, version Don Siegel, avec Clint Eastwood, sorti en 1971. C’est comme ça. Ne prétendons pas ne pas l’avoir vu, pas plus qu’il ne faille penser que la nouvelle adaptation offre une mouture différente du roman de Thomas Cullinan. L’exercice auquel se livre Sofia Coppola est alors étrange, puisqu’elle relifte superficiellement le film d’un réalisateur plus moderne qu’elle. Siegel détruisait sciemment l’image eastwoodienne, qu’il avait lui-même contribué à ériger, dans un film baroque, malsain et amoral, certainement comme seules les années 70 pouvaient le permettre. Semblant s’intéresser davantage à la communauté féminine, la réalisatrice, non seulement ne s’y tient pas, mais pire encore, n’arrive pas à le travailler en profondeur, forçant elle-même la comparaison avec son aîné, et l’exposition des faiblesses évidentes de cette nouvelle version. Complaisant dans son style et sa distribution m’as-tu-vu all-stars, Les Proies ne réfléchit plus sur son sujet, perd les perspectives de son sous-texte et devient grossièrement démonstratif. Paradoxalement, l’adaptation est moins violente psychologiquement comme physiquement.
Là où Coppola tire en revanche son épingle du jeu et renverse la vapeur par rapport au contexte cinématographique, c’est avec l’essence même du matériau originel, évitant justement tout traitement féministe anachronique, mais davantage anti-manichéen, trouble et voire anxiogène. En revanche, la réalisatrice se désintéresse relativement des personnages (tous inexistants sauf celui de Nicole Kidman) pour embrasser le film d’ambiance. Elle aurait pu quasiment en faire un film d’horreur gothique mais se contente du thriller. Sa réalisation repose finalement sur sa collaboration avec Philippe Le Sourd – bien certainement à l’origine de l’essentiel de la mise en scène, dont le travail photographique, tout en contrejours ou compositions en format 1.66 subtilement voilées, est le principal atout. Les Proies tire dans l’ombre ses stars, comme une certaine ironie de la part de la réalisatrice de Virgin Suicide. Peut-être est-ce aussi pour cela qu’elles n’ont pas de profondeur, pas de personnalité à part l’archétype que chacune représente : comme si, selon Coppola, il était davantage intéressant d’obscurcir le visage d’Elle Fanning qu’un personnage interprété par Elle Fanning. L’écriture globale est trop lisse pour s’y pencher outre-mesure : le scénario ressent le besoin d’expliciter oralement la moindre implication, notamment autour de la castration masculine.
C’est bien dommage, car dans le fond, derrière les murs de cette maison de folles (pas tant que cela), la psychanalyse freudienne est toujours là, quelque part, et tient en haleine. Incapable d’érotisme ou de sensualité, à l’exception peut-être d’une seule scène de lavements, Sofia Coppola semble étrangère aux désirs instinctifs et viscéraux de ses propres protagonistes, faisant toutes mécaniquement la cour au au magnétique caporal de l’armée nordiste McBurney (Colin Farrell). L’inévitable et froide rivalité féminine se retrouve au centre des enjeux mais, une fois de plus, faute de personnages, peine à s’imposer comme intérêt particulièrement fascinant. Toute la dramaturgie manque finalement de passion, et ce dans tous les sens du terme : c’est pourtant là la matrice du danger présent au sein de cette histoire, qui, s’il est amené à manquer, cloue au sol toute l’ambition de l’adaptation. L’idée originale est bien trop dense pour s’en tenir à un simple exhibitionnisme formel; d’autant que Coppola n’est pas la réalisatrice adaptée pour ce faire.
L’absence d’intérêt portée au contexte (la guerre de Sécession) fait se questionner sur les possibilités de l’adaptation, multiples et passionnantes. Pourquoi pas Les Proies dans l’Afghanistan de 2002, avec un G.I. perdu dans les montagnes du Nord ? Il est certes vain de fantasmer sur ce projet qui n’existe pas… comme il est vain que Sofia Coppola et son décalque ininspiré réitèrent la même introduction, les mêmes évolutions, la même structure, les mêmes relations, la même maison, la même cage d’escalier, le même ton, le même climax, la même fin, la même durée – ou presque. L’exercice de style du remake n’est même pas un hommage, façon Psycho de Gus Van Sant, d’autant qu’on ne saurait lui refuser une réhabilitation : Don Siegel n’est pas cité dans le générique de fin (seulement ses scénaristes, par obligation légale). Eh bien tant pis, passons : alors que Sofia Coppola fanfaronne sur le tapis rouge avec ses stars, le mentor eastwoodien, non content d’avoir sorti Les Proies, enchaînait la même année avec L’Inspecteur Harry. On est un moderne ou on ne l’est pas.