Qu'a-t-on à autant tirer sur Cannes dernièrement? Si le dernier film de Sofia Coppola n'est pas à la hauteur de l'excellent Virgin Suicides duquel on rapproche Les proies, il n'en reste pas moins un film réussi, en partie grâce à l'excellente équipe dont Mme a su s'entourer (le carnet d'adresses de papa aidant; rappelons d'ailleurs que c'est la boîte de ce dernier qui produit le film), mais aussi à l'intéressante réécriture d'un scénario auquel elle ajoute pertinemment sa touche personnelle.
S'il y a un prix qu'elle ne démérite pas, c'est bien celui de la mise en scène. En effet, non seulement le maniérisme des costumes, décors et intérieurs chatoyants, le travail considérable sur la lumière extérieure (rayons transversaux créant une aura merveilleuse nimbant la gynécée) et intérieure (bougies) ou en encore l'excellente photographie justifient l'attribution de ce prix; mais aussi l'art d'amener les personnages, de les rassembler avant de les confronter, de les laisser s'opposer puis finalement de les réunir à nouveau après qu'ils ont désigné le bouc-émissaire naturel à abattre.
Deuxième critique entendue: d'aucuns ont relevé un prétendu manque de suspens et même ont osé prétendre que la tension sexuelle omniprésente n'était qu'un leurre, qu'elle ne tenait pas debout. Doivent-ils être frigides ou friands d'un cinéma pornographique débridé au point de ne pas éprouver le moindre tremblement intérieur, le moindre ébranlement des sens lorsque la mère Martha (Nicole Kidman) lave l'homme malade, lorsque Edwina (K. Dunst) s'approche de lui dans la chaude lueur de la fenêtre pour que celui l'enlève ou enfin quand Alicia (Elle Fanning) vient l'embrasser pendant que les autres prient? Et comment prétendre qu'il n'y aucune tentation du mal, aucune malice, aucune méchanceté dans leur perfide jalousie, leur malsaine rivalité et leur jusqu'au boutisme? Torturées par le désir (charnel bien sûr, à l'exception de l'enfant qui cherche la reconnaissance et/ou un référent paternel), elles ne peuvent, dans leur silence de convenance, que crier la violente émotion qui les inonde (la dialectique du visible et du caché dont la clé qui garde la porte est l'axe, en est l'illustration) et le colonel John Mac Burney (Colin Farell) s'en rendant vite compte ne fait que trépigner de joie en songeant à la prochaine proie qu'il dévorera, de même que le spectateur qui ronge son frein dans l'attente fiévreuse de la consommation du pêché.
Le retournement de situation qu'opère le scénario, dont l'image de la toile d'araignée laisse augurer, inversera les rapports de force et rendra à une Martha froidement castratrice le pouvoir absolu qui lui échappait. En leader incontestée, elle entraîne son groupe derrière elle et si la psychologie de l'homme nous est cachée en raison d'un parti pris narratif, celle du groupe de femmes (car elles n'existent, de jour tout du moins, qu'en terme collectif) est bien précisée et nous explique les mobiles de la fin (peur, nécessité de se protéger plus que vengeance). Néanmoins, cette fin n'est pas assez bien amenée; même si l'expulsion du colonel lui pend toujours au nez, cette dernière cène arrive trop brutalement. Aussi, quelques invraisemblances la fragilisent, comme le fait que l'enfant avoue être sortie pour ramasser des champignons alors qu'il le leur avait interdit ou bien lorsque toutes le regardent manger sans éveiller en lui le moindre soupçon.
Quoiqu'il en soit, ce conte pour adultes où les femmes tiennent le rôle principal est savamment construit et remarquablement mis en scène. N'en déplaise à ceux qui, frustrés, s'attendaient à un gang-bang et auraient voulu être à la place du beau colonel pour les dévorer toutes.