On ne compte plus le nombre de versions cinéma du roman de l’écrivain Louisa May Alcott, Les quatre filles du docteur March (Little Women en américain). Je l’avoue, je ne l’ai jamais lu même si j’y ai pensé…c’est un énorme pavé et j’ai toujours imaginé qu’il s’agissait d’un récit sirupeux, plein de bons sentiments américains et qu’il me serait difficile d’apprécier l’œuvre de cette femme qui, si j’ai bien compris, s’est en grande partie inspirée de son enfance pour la rédiger. L’avantage des adaptations cinématographiques, c’est qu’elles réussissent parfois à extraire la moelle substantielle d’une œuvre littéraire moyenne et à la sublimer. Bien sûr, ce ne sont que des présomptions, puisque je le répète, je n’ai pas lu ce livre qui m’apparait juste être typiquement orienté pour un public jeune d’adolescente ou féminin adulte américain de la fin du XIXe siècle. Evidemment, le livre est sorti en 1868, donc trois ans après la fin de la guerre de Sécession qui traumatisa l’Amérique, il serait naturel d’y trouver ce qui plait aux gens de l’époque. Depuis, c’est en tout cas un succès international et les adaptations, ciné, télé, animé n’en finissent plus, il y en a encore eu en 2018 et une autre en 2019…C’est sur la seconde version cinématographique du début du XXe siècle sur laquelle je me suis donc penchée le weekend dernier, celle réalisée par le célèbre George Cukor à qui l’on doit tant de films réalisés entre 1930 et 1981 et je partais ravi de mon plonger dans cette histoire si célèbre.
Les quatre filles du docteur March sortit en 1933 est la seconde adaptation (la première était muette) et elle profite d’un joli casting. Bon, on est d’accord, je le sais bien, un film ce n’est pas un concours de beauté, mais sont réunies ici quatre jolies actrices, c’est tout de même pas de ma faute si Hollywood était aussi une usine à jolies filles à faire tourner les têtes. Qui sont ces interprètes ? La malicieuse Katharine Hepburn (actrice la plus oscarisée de l’histoire) est Joséphine le garçon manqué qui rêve de liberté et d’épanouissement personnel, la jolie Joan Bennet (apparemment enceinte sur le tournage et qui n’est pas ici à son avantage physique dans le rôle de la cadette de la famille) est Amy la petite sœur égoïste, Jean Parker ravissante actrice incarne Beth la fille timide et fragile, enfin l’élégante Frances Dee joue le rôle de Meg, seize ans, l’aînée de la famille. A mon sens, là le bât commence à blesser, visiblement, dans le roman les filles March ont entre douze et seize ans, mais nos actrices ont presque toutes le même âge, soit la vingtaine ou plus (26 pour Hepburn). Le plus choquant, c’est sans doute pour Joan Bennet (23 ans à cette époque). Si dans la première scène où elle apparait, à l’école, où elle se fait disputer par son professeur (un homme très grand), l’illusion passe encore, dès qu’elle est avec ses sœurs, on ne croit pas un seul instant qu’elle puisse être une si jeune adolescente de douze ans. Ceci étant dit, rétablissons la vérité, dans ce film, on ne nous dit pas quel âge ont vraiment les filles March, on estime une différence de par ce qu’elles ont le droit de faire ou non, de par leur comportement, mais cela reste assez flou. Ce n’est pas ce qui m’a donc le plus dérangé, après tout il n’est pas dit qu’un film ne puisse pas s’éloigner de son modèle littéraire tant que cela est fait avec intelligence, mais pour des puristes, ce serait dérangeant. En revanche, l’histoire s’est donc révélée en dessous de mes attentes, je n’en avais qu’un très vague souvenir, il y a très longtemps j’ai vu la version de 1949 (je ne m’en souviens plus du tout), j’ai vu des bribes de la version de 1994 (que je n’ai pas retenues), je partais donc en terrain presque vierge, une histoire à défricher dans laquelle se plonger, un plaisir de cinéphile.
Ce que je craignais dans ce récit s’est révélé exact, si l’histoire n’a rien de désagréable à suivre, elle ne m’est pas apparue comme très passionnante et le côté sirupeux plein de bons sentiments américains était bien au rendez-vous. Madame March aide tous les pauvres qu’elle trouve, les vieux, les infirmes et les malades très contagieux, les filles March s’en réfèrent à Dieu pour les aider dans leurs épreuves (même Jo la révoltée !). Dans le film en tout cas, elles m’apparaissent aussi trop gentilles les unes envers les autres, ce qui après vérification semble être moins le cas dans le roman où les caractères sont davantage exacerbés et les antagonismes plus marqués, ici ce n’est pas le cas et j’ai trouvé (à part pour Jo) qu’il n’y avait pas assez de différence entre les filles. Le film dure tout de même 1h55, ce n’est pas rien, cela laisse le temps de développer la caractérisation des personnages. Ceci dit, je ne vais pas être méchant pour l’être, c’est tout de même acceptable dans l’ensemble. Non, ce qui est un peu dommage, c’est que je ne me suis pas senti emporté par les préoccupations des filles. On se marie, on ne se marie pas ? On embrasse un garçon ou non ? On lui dit qu’on l’aime ou on le fait mariner ? On aide les gens ou on pense seulement à soi ? Finalement, comme je m’en souvenais le personnage principal, c’est bien Joséphine et Hepburn qui l’incarne est, d’après les critiques, censée là y faire une grande performance d’actrice. Oui, c’est bien, c’est agréable, elle est juste la plupart du temps, mais pas toujours non plus, j’aurais tendance à penser qu’elle était par moment trop expressive, rarement, mais tout de même. Une performance qui n’a donc rien d’extraordinaire, ah ce n’est pas Vivien Leigh dans Autant en emporte le vent ou Liz Taylor dans Qui a peur de Virginia Woolf...
Attention, je révèle l’intrigue dans les vingt-sept lignes suivantes.
A la fin du film, après bien des pérégrinations Jo est rentrée à la maison familiale. Finalement, la vie de liberté et d’aventures dont elle rêvait ne semble plus lui plaire. Elle voulait de l’indépendance, briser les conventions, tout casser, elle ne souhaitait pas se marier préférant se consacrer à l’écriture (refusant même d’être courtisée), elle finit par trouver un homme qui ici, nous apparait gentil mais d’une médiocre envergure et je n’ai pu donc m’empêcher de penser : « hein tout cela pour ça ? ». Tout ce foin autour de l’indépendance, que d’ailleurs personne ou presque ne remet en question, ni sa mère ni son père qui la laisse partir à New York, j’ai donc eu l’impression que les promesses du récit n’étaient pas tenues, que c’était un peu une arnaque. Il y a bien des enjeux dramatiques puisqu’on vit la mort de l’une des sœurs (si j’ai bien lu, deux sœurs meurent dans le roman) mais même cela ne nous apparait pas si triste que cela, car la famille se réfugie immédiatement dans les bras de Dieu et accueille au final la mort de la pauvre fille comme un acte de délivrance, car la petite semble trop souffrir (malheureusement, ce n’est pas très bien montré, on ne le voit pas tant que cela dans le film). Ceci étant dit, je ne doute pas un seul instant que ce ne fut pas le cas à l’époque, on est aux USA, au XIXe siècle, la religion, l’esprit de sacrifice, la charité revêtent une grande importance (et cela n’a pas beaucoup changé). Je ne remets donc pas en cause le parti pris du film ou du livre, j'aurais sans doute apprécié cet esprit compassionnel et sacrificiel dans d'autres circonstances mais là, je constate juste que cela ne fonctionne pas vraiment sur moi. Sans doute faut-il tout de même adhérer beaucoup à ces vertus pour s’y complaire dans la lecture ou le visionnage sans rien en retirer d'autre. J’apporte une précision, ce ne sont pas les romances qui me dérangent, au contraire, j’aime ça la romance, elles ne sont d’ailleurs au final que peu développées ici, celle de Meg est plutôt expédiée, celle d’Amy également (elle est quasiment bâclée) et celle de Jo n’est pas très explicite non plus, j’ai simplement trouvé mieux ailleurs. Je préfère, et de loin un Orgueil et Préjugés, à cette histoire d’adolescentes qui grandissent tant bien que mal. Alors oui, la mort de l'une d'entre elle qui se dévoue pour les miséreux peut être saluée ou au choix faire pleurer dans les chaumières, mais j'ai trouvé que cela ne suffisait pas, je dois être probablement sans cœur ;-). A noter que j’ai regardé le film avec ma compagne qui connaissait l’histoire et qui n’a pas été non plus transcendée par le film.
Le film de Cukor m’a donc laissé une impression mitigée, la réalisation est plutôt banale et Cukor a fait le service minimum, je me demande si je vais pousser l’expérience plus loin en revoyant le film de 1949 de Mervyn LeRoy car j’aime bien ce réalisateur (et il y a Liz Taylor tout de même !) et peut-être aussi en commençant un peu le livre pour me faire une idée du style. Ceci étant dit, il y a de bonnes choses, ce n’est pas un mauvais film. J’ai trouvé par exemple que le jeu des actrices était très moderne pour l’époque. On est en 1933 et on pourrait facilement s’imaginer en 1945/1950, leur jeu est juste, libéré des conventions théâtrales, elles n’en font pas de trop. Une petite mention pour l’actrice Edna May Oliver, née en…1883 et qui incarne parfaitement la vieille tante March. J’ai moins apprécié le jeu de l’acteur qui incarne Laurie, le jeune homme qui essaye de séduire Jo. Douglas Montgomery qui est encore au début de sa carrière, m’est apparu sans charisme, un peu trop fragile, presque féminin, ceci dit, encore une fois n’ayant pas lu le livre, je ne sais de quoi il en retourne dans l’œuvre, peut-être que ce contraste est voulu pour s’opposer à la tendance garçon manqué de Jo qu’il courtise. Mais, il ne m’a pas convaincu, cela ne se commande pas. Le moment fatidique de la notation venait donc à moi après ce visionnage et c’est avec difficulté que je vais attribuer un gros 6, je sais que ce n’est pas une notre très élevée, mais un petit goût d’insatisfaction me reste au travers de la gorge. Je n’ai pas passé un mauvais moment, mais ce qui ressort de ce visionnage, c’est que j’ai trouvé cette histoire assez banale et convenue et je doute que ce soit une question de mise en scène ou d’interprétation, à vérifier avec d’autres versions.