Poursuivant mes découvertes ou redécouvertes des films américains des années 30, je m'intéresse bien sûr au réalisateur Ernst Lubitsch, un incontournable pour qui souhaite en savoir plus sur le cinéma de l'époque. J'ai donc choisi Sérénade à trois (Design for Living) qui possède une très bonne réputation et parce qu'il y a un Blu-ray de bonne qualité, sans être exceptionnel non plus, mais c'est tout de même plus agréable de découvrir un film qui a 88 ans dans de bonnes conditions de visionnage. Sur Senscritique, c'est presque un chef-d'œuvre, c'est une avalanche de 10, des 9 en pagaille, des 8, beaucoup de très bonnes notes pour ce film de Lubitsch qui, à mon avis, n’est pas son chef-d'œuvre, même si l’on passe un agréable moment avec ce trio d’acteurs. Ce qui apparait peut-être le plus intéressant dans ce film, ce qui m’a en tout cas le plus intrigué, c’est la période à laquelle il a été tourné, car c’est un film d’avant le code Hays et on le sent avec cette intrigue de triangle amoureux qui aurait été difficilement mis en scène après le fameux code censeur qui entravera la liberté créative des réalisateurs jusqu'en 1968, leur interdisant de trop parler ou de trop montrer de la violence, du sexe, de la consommation d'alcool ou des mœurs légères qui seraient allées à l'encontre de la morale . Vraisemblablement, une jolie jeune femme libérée qui est amoureuse de deux hommes en même temps, cela ne pouvait que déplaire aux puritains, rien que d'entendre prononcer le mot « sex » dans un film (on l'entend ici deux ou trois fois) devait les faire bondir de leurs fauteuils. Même moi, je réussis à être surpris en l’entendant dans un film américain des années 30 tellement j’y suis peu habitué. Tout comme il est plus que surprenant d'entendre l'actrice dire en 1933 "When il let you make love to me yesterday", ce qui a été traduit dans le sous-titre par "Quand je t'ai laissé me faire la cour", mais qu'est-ce que c'est que cette transformation dans les sous-titres, je ne sais pas s'ils sont d'origine (ce qui s'expliquerait par une censure française) ou refaits par l'éditeur, mais cela aurait mérité une vraie correction, car oui, la fille dit bien :" Quand je t'ai laissé me faire l'amour hier", là on touche l'hyper-transgression pour l'époque! Cela y va fort, les puritains ont dû hurler des "oh my gosh, it's so chocking" à s'en étouffer! LEGER CORRECTIF A CE SUJET je mets à jour aujourd'hui 6 mai, car un ami qui connait le film, qui a lu ma critique, vient de me dire qu'il y avait un potentiel sens archaïque à "To make love" et qu'en effet, il pourrait bien s'agir de "faire la cour", cependant cela reste flou, se pourrait-il que ce soit une manière de jouer sur le mot pour ne pas être plus explicite et donc ne pas dire "have sex", à creuser.
Toutes ces petites choses, ainsi le ton léger et l'angle d'attaque peu commun de la relation sentimentale qui nous sortent de l'habituel schéma amoureux classique sont donc plaisants. Pourtant...
Pourtant, il m’a manqué quelque chose pour que mon visionnage se transforme en grand moment de cinéma. Alors oui, c’est agréable d’entendre du français dans un film américain (ça me plait toujours quand les étranger font cet effort, on a même droit à un échange entier en français entre les trois protagonistes), oui les lignes de la bienséance (telle qu’on la perçoit à l’époque) sont bien bousculées, oui les acteurs sont bons et la fille est très jolie, mais je n’ai pas trouvé Miriam Hopkins toujours très convaincante ici. Bien sûr, on est en 1933 et il ne faut pas s’attendre à être totalement débarrassé d’un certain style théâtral dans le jeu des acteurs, je ne l’ai pas constaté souvent dans le film, mais tout de même assez pour que sa performance d’actrice me gêne un peu parfois, notamment chaque fois qu’elle se jette sur un lit, j’y un trouvé un petit côté too much qui ne me semble pas forcément cadrer avec son personnage en plus. Il faut cependant prendre du recul sur mes critiques quant à son jeu d'actrice, nous sommes dans les années 30 et le public, comme les réalisateurs n'attendent pas la même que le public du XXIe siècle. Si Lubitsch l'avait trouvée mauvaise, j'imagine qu'il lui aurait demandé d'autres attitudes... J'attends de la revoir dans une autre prestation pour me faire une idée plus précise sur son talent. Ici, Fredric March est meilleur que Gary Cooper à mon avis, plus subtil, plus juste, peut-être un peu plus moderne, c’est sans doute aussi son rôle qui veut cela. Je pense que la fin du film aurait mérité une meilleure écriture, quelques scènes me sont apparues comme légèrement précipitées et un peu faciles.
Cooper et March qui arrivent comme cela, presque comme un cheveux sur la soupe à New York pour sauver la belle Gilda et lui offrir une nouvelle vie de débauche à Paris, me semble un peu léger niveau écriture. On peut imaginer qu'elle leur a écrit une lettre, mais rien ne nous le prouve vraiment. J'ai trouvé cela un peu dommage.
Petit détail intriguant, c'est un film qui n'a pratiquement aucune bande musicale à part une petite ambiance musicale parisienne avec une ritournelle de rue. Détail assez rare pour être noté, j'en ai été surpris, allant même jusqu'à me demander si je n'avais pas loupé la bande originale...
7 sera ma note pour ce film tout de même sympathique et réussi. Bon, je le pense à chaque fois que je me laisse tenter par cet exercice, c'est très difficile de noter un film, encore plus difficile quand le film en question nous a plu mais sans nous transporter non plus, 7 c’est une bonne note car j’ai passé un agréable moment, mais j’ai hésité avec un bon 6, si le site le permettait, j’aurais peut-être opté pour un 6.5, peut-être... En vérité, ce qui m’a peut-être gêné, c’est surtout l’impression d’avoir un film qui oscille entre la comédie de mœurs et le drame léger sans nous en donner assez pour faire notre choix. Je peux voir venir les commentaires : « c’est une comédie dramatique légère sur fond de libertinage », c’est une assez bonne définition et il faut se féliciter de ce thème osé pour l’époque, mais si on met de côté la transgression sociale pour l'époque, le scénario n'est pas très passionnant, je maintiens qu’il m’a manqué quelque chose pour emporter tout mon enthousiasme. Je sors tout juste de La huitième femme de Barbe-Bleue du même Lubitsch, avec le même Gary Cooper et ce fut là un moment bien plus agréable à mon sens, je lui ai mis un 8. Bien sûr, le film est peut-être davantage convenu, mais au final, Sérénade à trois l’est également, car on voit venir la conclusion de l’affaire...bien sûr, c'est un point de vue de 2021, sans doute qu'un spectateur de 1934 s'y attendait moins. Je vais sans doute me faire des ennemis, mais peut-être qu’avec une meilleure écriture des dialogues (plus incisifs?) ou une mise en scène plus originale, je me serais laissé davantage emporter par le réalisateur, mais cette fois-ci, je reste un peu sur ma faim avec quelques passages durant lesquels j'ai senti un léger ennui s'installer, même si au final cela n'a pas duré car le film reste très plaisant.