Toute sa vie John Ford a milité pour la dignité humaine et le respect qui va avec. Malgré sa carrière militaire (sur sa tombe est écrit ADMIRAL JOHN FORD), il a toujours considéré la guerre comme dégradante. Ainsi « Four Sons » (Les quatre fils) se veut un film avant tout pacifiste, montrant les deux faces d’une même tragédie. Transposé dans une Bavière de conte de fée (catholique et buveurs de bière, comme l’Irlande, origine dont le cinéaste s’est toujours réclamé), le film s’ouvre dans un village, certes très « Frida Oum Papa », mais aussi très fordien avec le Burgermeister aux discours ampoulés, le facteur et ses immenses moustaches, l’aubergiste énorme et toute une galerie de personnages truculents, bien dans la lignée de ceux que le cinéaste aime dépeindre. Mais le centre est incontestablement « Mutterchen » (petite mère) Bernie qui pour son anniversaire offre des Strudel au miel aux petites filles du village et dont les quatre fils occupent chacun un métier différent qui sont autant de symboles : soldat, fermier, forgeron et berger (servitude, terre, industrie et élevage). Mais tout va basculer avec l’arrivée du sinistre major Von Stomm dans une séquence d’une grande qualité technique (avec un traveling arrière très maîtrisé), que Chaplin détournera en un gag génial avec le tapis rouge sur le quai dans “The Great Dictateur”. La gifle à Joseph annonce la guerre et l’ombre de la main sur le visage de ses deux fils appelés, la mort (procédé que le réalisateur emploiera souvent par la suite). La montée progressive du drame s’accompagnera de plans issus de l’expressionisme allemand tels les rayons de soleils qui filtrent à travers la fenêtre pour éclairer le buste de la mère plongée dans les ténèbres d’un intérieur déserté. Plans que le grand Murnau, avec lequel Ford s’est entretenu lors du tournage de “L’aurore” dont il reprendra d’ailleurs une partie des décors, n’aurait pas renié. Le sommet de l’horreur, si j’ose dire, est atteint lors de la rencontre tragique des deux frères de camp opposé, sur un champ de bataille jonché de cadavres, à l’aube d’un matin embrumé. Que Joseph ne reconnaisse pas son frère mourant est symptomatique de l’endoctrinement militaire et de la déchéance morale qui l’accompagne. D’un bout à l’autre de la réalisation, John Ford a exécuté des exercices de style (par exemple quand le facteur apporte des nouvelles tragiques il apparaît d’abord en ombre portée) et des mouvements de caméra dont la plupart seront abandonnés au profit d’une mise en scène plus sobre et davantage concentrée sur l’essentiel. Avec un casting, dirigé avec justesse, dominé par Margaret Mann (Maman Bernie) et James Hall (Joseph), mais aussi des seconds rôles épatants, aussi bien en Bavière qu’à New York (avec Robert Parrish dans le rôle du fils de Joseph), le film se permet une succession de séquence parfois attachantes, souvent surprenantes, réalisées par celui qui est déjà un maître en prouvant qu’il peut réussir tous les sujets