Stop arrêtez tout ! Je retient votre attention car l’heure est de mise, alors que 2024 traverse une période en or pour la comédie musicale, voilà peut-être LA pépite de l’année dans le genre, LA surprise inattendue qui annihile vos Emilia Pérez, Joker, Piece by piece ou Wicked, LE film qui prouve que les moyens techniques et budgétaires ne seront jamais une excuse quand à la qualité d’une œuvre, son imagination et surtout sa remarquable exécution. Pile poil l’année dernière je vous avais parlé d’une claque de cinéma, Conann de Bertrand Mandico, et Alexis Langlois, de même que le duo Poggi/Vinel ou encore Yann Gonzales font partis d’une clique de cinéastes aux moyens quasi rudimentaires (le budget des Reines du drame est d’à peine 1 million d’euros) mais au résultat d’une flamboyance à toute épreuve ; en plus de faire la part belle à des thématiques et une imagerie plus ou moins queer. Queer, un mot valise pour ranger une communauté, incluant au global celles et ceux se rangeant (ou non) dans une identité et/ou sexualité loin des normes établies, se construisant à partir de ça, une contre-culture faite d’ouverture d’esprit, de drags queen, mais aussi et surtout, de chants, d’arts et autres tribunes dénonçant une oppression et un rejet systémique, banalisant des clichés et autres modes de pensée qui poussent à bout. Une situation sociale et même politique plus que cernée par Alexis Langlois, réalisateur.ice non-binaire ayant dans ses deux précédents courts-métrages déjà fait un état des lieux aussi juste que sidérant de l’injustice planant autour de cette communauté. Avec les Reines du drame, est conté la relation, les amour et désamours aussi flamboyants que tragiques de Mimi Madamour et Billie Kohler au sein du star system des années 2000 entièrement pastiché avec tendresse et acidité au gré de son esthétique délicieusement datée et criarde ; cachant cependant une histoire et un fond bien plus malin et émouvant qu’attendu.

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Précédemment avec Grand Tour, j’abordais le fait qu’en voyant certains films, il était parfois peu aisé de décrire d’une façon un minimum objective le type de parpaing qu’on s’est ramassé en pleine tronche, et pour Les reines du drame, l’ahurissement était total, mais pour des raisons sensiblement différentes. Le film de Miguel Gomes m’avait bluffé par sa capacité à travailler avec singularité son esthétique et sa radicalité, mais avec Alexis Langois, il est plus question d’une dose d’adrénaline et de fun, du fun pop, jouissif mais aussi intelligemment déversé avec une générosité qui pourrait très vite tourner à l’AVC. Alors c’est bien beau tout ça mais pourquoi ? Parce que pour revenir au rapprochement avec le cinéma de Mandico (par exemple), le peu de moyens est assumé, ou du moins, sert une esthétique carton-pâte rappelant ici les bouts de ficelle et autres effets (de montage notamment) factices pour faire vivre un univers de paillettes et autres pop star. Sauf qu’au-delà de se contenter de ça, Alexis Langlois joue avec ces décors de studio, il recréé cet univers propre aux années 2000 en réutilisant des poncifs visuels détournés pour mettre en lumière sa facticité et surtout la communauté queer : en somme, il réalise un vrai détournement d’une culture audiovisuelle dès lors bien moins lisse et sacrément plus politique dans sa mise en scène. Il y a quoiqu’il en soit un réel effort et un charme dingue dans la composition et les choix de lumière qui font très vite oublier le maigre budget pour un spectacle visuel d’une rare inventivité et surtout, d’un rare culot. Car il en faut pour oser se confronter à ce point au ridicule, Les Reines du Drame devient ainsi un réel numéro d’équilibriste menaçant de plonger dans la bouffonnerie à chaque instants. Mais d’une certaine manière, le film semble résolu à faire un constant saut de l’ange, dans un geste kamikaze qui aura par ailleurs totalement perdu (pour rester poli) certaines connaissances, quand ce spectacle aux pulsions suicidaires m’aura au contraire totalement stupéfait. Pourtant il est peu dire que la frénésie d’Alexis Langlois, surtout dans un long-métrage de plus de 2h peut par moments devenir contre-productive, à un point où une certaine lassitude peut se faire ressentir, une fatigue aussi, et un détachement envers les personnages mis en scène par Alexis Langlois.

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C’est déjà un soucis de rythme que je pouvais afficher à un De la terreur mes sœurs, qui à force de trop en faire me semblait se limiter, et sur un (plutôt) long-métrage, ce défaut est lui, techniquement plus assassin, notamment dans l’empathie qu’on pourrait allouer aux personnages, qui par moment, finissent par être desservis par une fureur grandiloquente baissant rarement son tempo et pouvant dépasser le spectateur. Malgré tout cela est aussi pallié par la myriade d’idées et l’inventivité constante du récit et surtout de l’image, bien que certains pourraient crier (plus ou moins à raison) que Les Reines du Drame est un étalage de mauvais goût. D’autant plus par rapport à son aspect « comédie musicale », qui confine pour ma part au quasi bonheur divin, et je n’aurai aucune honte à dire que je me demande très sérieusement quel est le meilleur film du genre cette décennie entre Les reines du Drame et Annette. Si la poésie fantastique de Leos Carax m’a plus ravagé le cœur, impossible de laisser sur le bas côté l’extravagance juste jouissive du film d’Alexis Langlois, qui fait exploser ce sentiment d’excessivité, avec cette fois-ci une maîtrise et un équilibre bien plus prenant sur la longueur que de simples effets de style et de montage. En partie car il n’y a pas qu’un genre de comédie musicale dans Les Reines du Drame, chacune de ces scènes vient transformer le métrage, donner un nouveau souffle à une histoire d’amour, incarner la montée en popularité de Mimi Madamour jusqu’à une scène de rupture amoureuse d’une rage et violence quasi inenvisageable dans un film jusque-là très rayonnant. Plus que de simplement faire l’exégèse des sentiments de ses personnages, comme il en est convention dans la comédie musicale, Alexis Langlois va plus loin, aussi car elle filme ce milieu musical, dont les chansons et tubes de station-service prennent ici une dimension plus factice petit à petit détournée de son écrin mainstream pour plonger dans l’underground, incarnée par la dimension queer du métrage. D’un tube mièvre disney channel avec Pas touche pas touche, Les Reines du Drame glisse petit à petit vers le quasi trash et l’explosion d’une sexualité jusqu’alors tabou, aseptisée par des conventions sociales dont on parodie les codes avant de les transcender, voire de les corrompre pour arriver à un message plus subversif et dévergondé qui fait un bien fou ; autant dans la mise en image d’une passion amoureuse que de la musique.

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C’est cependant bien beau de parler paillettes et effets de style, mais pour ne pas tomber dans les mêmes revers dénoncés, Les Reines du Drame oppose à ce star system déjanté, lisse et cruel une écriture bien plus subversive, pervertissant des normes établies au profit de la communauté queer dont on filme par instants un quasi sentiment de honte, la honte de ne pas se ranger dans des rangs plus proprets. En tout cas, je parle de pervertissement non pas pour dire qu’Alexis Langlois fait partit de la dangereuse milice woke lbgt venue corrompre les enfants de nos belles valeurs d’intégrité (sic), mais plutôt pour mettre en lumière le sentiment de culot qui jalonne toute l’œuvre, allant de provocations politiques plus ou moins subtilement placées à la mise en valeur trash et flamboyante de ses héroïnes. Des caractéristiques bien mises en valeur avec l’intro, qui posent le ton et les codes d’un film qu’on pourrait aisément qualifier de jusqu’au boutiste. Il est par ailleurs amusant de voir comment le scénario reprend bon nombre de codes reliés au « rise and fall », une marque sucée jusqu’à la moelle par bon nombre de biopics musicaux, ayant petit à petit instaurés des codes et autre clichés repris par la metteuse en scène. Tout d’abord en offrant un p’tit truc en plus qui fait toute la différence, la dimension queer émanant de chaque décor, personnage, costume et direction d’acteur, bien que l’on pourrait reprocher au premier abord une multitude de clichés dans la direction artistique, l’image clinquante prend une autre tournure quand la réalité crasse rattrape ce quasi fantasme sur la success story de Mimi Madamour ; amenant ainsi à une mise en avant des discriminations et oppressions que subit, notamment ici, les lesbiennes. Un fantasme qu’on pourrait cependant ramener dans la forme à n’importe quel pop star, puisque Les Reines du drame verse son récit dans d’éternels histoires de gossip, d’égoïsme mal avisés et autres compromis moraux, parfois dans des stéréotypes d’écriture que même la série Violetta n’aurait pas utilisé. Mais justement, ces stéréotypes sont rejoués avec un autre contexte, avec d’autres revendications derrière, dans un esprit quasi parodique de ces codes inhérents aux productions des années 2000’s, des souffrances bien réelles sont mises en lumière et donnent une dimension bien plus impactante à ce qui n’aurait pu être qu’un prétexte voire une facilité scénaristique. Voilà peut-être réellement arrivé le grand remplacement en somme, celui d’un couple de lesbienne qui rejouent le mythe hollywoodien des génies mal-aimés par leur époque/public, non par égo de superstar mais en réponse à un sujet de société trop souvent mis sous le tapis, injecté dans une formule moins bien pensante et plus acide.

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Cependant, au-delà de ce travail de fond, ce qui frappe plein les oreilles, rien qu’avec le titre, Les Reines du Drame, comme déjà face aux premiers films d’Alexis Langlois, Les Démons de Dorothy et De la terreur mes sœurs, c’est cette maîtrise du verbe, du dialogue et du rythme musical, comique ou tout simplement romantique. Alors on peut être tout à fait réfractaire, cringe même diront certains, face à ces enchaînements, ces punchlines forcés et autres dialogues peu subtiles, mais ce qu’on pourra difficilement enlever à Alexis Langlois, c’est que derrière cet apparat de style, il y a une vraie énergie et singularité qui ressort de son travail depuis plus de 6 ans, et Les Reines du Drame sonne pour moi comme un accomplissement. Tout d’abord car je trouve que si les potards sont constamment poussés à fond, le ton lui, est bien mieux géré, beaucoup plus homogène, en partie grâce à sa longue durée qui permet, derrière l’extase et l’euphorie ambiante, de mettre plus frontalement et farouchement en avant les moments les plus dramatiques ou romanesques, bref, ces moments touchant, intimes, à une corde plus sensible et humaine qui donne une belle âme à un film qu’on pourrait jusque-là, d’après mon analyse, ramener à un simple vernis, un appareil technique. Pourtant ça serait vous mentir que derrière le simple fun de l’ensemble, je n’ai pas été un minimum ému par ce superbe duo ou que l’hyperactivité de cette bitch en cheffe incarnée par Bilal Hassani n’a pas dans sa fin une certaine joliesse. Déjà car je trouve que tout le monde, en particulier Louiza Aura (Mimi Madamour) et Gio Ventura (Billie Kohler) jouent à merveille, et surtout comprennent dans quel univers elle mettent les pieds. Un univers de l’hystérie, fiévreux, grandiose et colérique dans lequel elles injectent leur propre sensibilité, donnant entièrement vie à leurs amours et désamours, ces cabotinages plus ou moins forcés, mais surtout l’incroyable complicité et alchimie qu’elles apportent l’une à l’autre, mais aussi au reste des personnages. Des personnages secondaires, incluant la bitch des internets, Steevy Shady, la coloc de Billie jusqu’à l’agente de Mimi ou même sa mère, dans un caméo vocal interprété par nulle autre que Mati Diop, on sent dans le choix du casting l’envie d’Alexis Langlois de donner une voix et un rôle taillé sur mesure pour la communauté queer, et surtout une pure tendresse pour ses personnages. Quoiqu’on en dise, avec cette fameuse propagande woke et autres opportunismes bien pensants, comme j’ai pu le lire ici et là, Les Reines du drame offre un rôle et une voix authentique, sans aseptisation, d’une manière qu’aucun studio n’a jamais osé le faire, aussi car le résultat est à même de cliver un public réceptif ou non. Dans tous les cas, la note d’intention est remplie, et quoiqu’on en pense, enfin on peut voir s’exprimer ces gens qu’on refuse de voir autrement que sous un angle lisse, dans un modèle de franchise qui quoiqu’on pense du résultat final, défie toute concurrence et pourrait bien marquer un tournant dans ce qu’on pourrait borner comme « le cinéma queer ». Surtout car, dans Les Reines du Drame, malgré les déchirements, actions égoïstes ou autres trahisons, il reste toujours en fin de compte une joie de vivre, un optimisme salvateur et tout autant politique, mettant en avant la vivacité des personnages (et à fors-suris personnes) mis en avant, comme dans un élan d’optimisme, dans sa fin, de regard vers le futur, qui apporte, toujours dans l’outrance, un beau sentiment d’espoir.

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Les Reines du Drame avait tout pour se vautrer dans son trop-plein d’esthète et devenir un objet à la fois chic et vain, mais il n’en n’est rien, c’est sans aucun doute le truc le plus festif, fiévreux, culotté et jouissif vu sur un écran de cinéma en 2024. Alexis Langlois livre une perle rare de maîtrise technique, d’audace visuelle avec en plus de ça un véritable punch dans l’écriture des dialogues malgré que la constante hystérie de l’ensemble puisse à la longue fatiguer. Cependant là où le long-métrage brille, c’est dans sa manière d’enfin mettre en avant, avec la splendeur, la franchise et la liberté nécessaire, la communauté queer dans son ensemble, créant un objet de cinéma réalisé à la fois pour ces derniers que pour les mettre sur un piédestal authentique, que la société ne leur apporte jamais vraiment. Un aboutissement, parvenant nonchalamment à une forme de contre-culture de nombreux standards sociaux et politiques actuels, tout en remettant au goût du jour, et en détournant délicieusement les directions artistiques criardes et stéréotypes visuels des années 2000, avec bonheur et dérision, mais surtout liberté et jouissance.

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Note à mes lecteurs: J'aime pas forcément m'affiche comme ça, mais j'imagine qu'il y a quelques personnes qui me suivent et qui souhaitent savoir pourquoi cette critique est sortie si tardivement, et je pense devoir répondre. Le truc c'est qu'actuellement, j'ai de plus en plus de mal à écrire, je ne sais pas si c'est lié à un burn-out, étant donné que mes autres projets personnels et professionnels me prennent aussi un temps monstre, mais cette critique, comme la précédente a été un réel enfer à écrire. Au départ je devais enchaîner sur Leurs Enfants après Eux, mais je pense devoir me reposer, j'espère avoir le temps et l'énergie d'écrire sur Les Femmes au Balcon, car j'ai un paquet de trucs à souligner, mais après... bah je sais pas si je vais prendre une pause ou plus ou moins arrêter. J'aimerai continuer à écrire, mais j'ai pas l'impression d'intéresser la communauté SC, et je ne peux plus autant sacrifier de temps et de santé mentale pour au final ne même pas savoir si ce que j'ai écrit a un quelconque intérêt critique. C'est quelque chose que je ressent depuis très longtemps, je ne blâme personne, car il n'y en a pas à blâmer, mais je me devais de vous partager ce ressenti qui s'accompagne par ailleurs sur mes autres projets (podcasts, serveur discord, réalisations...). A voir ce que l'avenir va me réserver, mais je préférais écrire ça là, et maintenant, histoire de ne pas vous laisser dans le flou. Merci quand même aux quelques individus ayant donné un peu de temps à mes papiers et autres productions, mais j'ai l'impression que Senscritique n'est pas, ou plus ce site dans lequel tu peux t'épanouir à force de persévérance, en dehors des comptes déjà très installés (et encore, je suis là depuis plus de 4 ans). Ou peut-être que je m'y prend mal... je suis perdu...

Désolé pour cette petite note un peu grisâtre.

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le 3 déc. 2024

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