Après avoir lu le livre de Sir John Barrow et après avoir vu hier la version de Franck Lloyd de 1935, voici la version de Lewis Milestone de 1962.


Il est clair qu'on change de dimension avec ce remake. De gros moyens ont été mis en œuvre avec la construction d'une réplique du Bounty, par exemple. Le navire qui n'était qu'un deux-mâts dans la version de 1935, est devenu un superbe trois-mâts.


Le noir et blanc s'est changé en un film couleur avec un somptueux technicolor et cinémascope.


Et l'histoire alors ? Elle est, heureusement, bien restituée. Mais la version de 1962, pourtant de 178 minutes, ne contient pas tout ce qu'on trouve dans le livre de John Barrow et certainement celui de Charles Nordhoff et James Norman Hall qui est la même source d'inspiration du film que celle de 1935.


Par exemple l'odyssée du Capitaine Bligh dans sa chaloupe, qui fut un véritable exploit est très simplifiée. De même que le retour en Angleterre des non-mutins sur la Pandora et leur passage en cour martiale est absent. Seul reste le procès et acquittement du capitaine Bligh avec les réserves exprimées par le tribunal sur son comportement en tant que capitaine.


Par contre, le devenir du Bounty, son retour à Tahiti et son arrivée sur l'île Pitcairn sont sensiblement plus développés dans la version de 1962. La mort accidentelle du lieutenant Fletcher Christian est romancée par rapport à la réalité historique beaucoup plus dure.


La version de 1962 évoque sans le développer le personnage d'Alexander Smith qui se fera appeler Adams sur l'île Pitcairn et qui sera le seul survivant des mutins découvert plus de vingt ans après la mutinerie. Par contre, comme elle passe sous silence le retour des "non mutins" récupérés sur l'île de Tahiti, elle fait l'économie du personnage de l'aspirant Heywood (Byam dans la version 1935) qui n'était pas un mutin mais qui sera condamné à mort puis gracié.


La version de 1962 a nettement privilégié l'aspect "film d'aventures et film romantique" par rapport à l'aspect purement historique, en étant aussi beaucoup plus manichéen au niveau des personnages. A mon avis, l'air du temps en 1962 allait beaucoup plus vers une compréhension et une justification de la mutinerie.


Les deux personnages principaux sont :
Le capitaine Bligh joué par un excellent Trevor Howard dont le film insiste sur l'aspect "capitane sorti du rang" et qui a gagné ses galons "à la force du poignet". Il ne supporte pas les "Fletcher Christian" nés avec une cuiller d'argent dans la bouche et qui deviennent – sans trop se fatiguer – officiers. Alors que Charles Laughton pouvait présenter plusieurs facettes dont celle d'un meneur d'hommes dur mais meneur quand même (odyssée de la chaloupe vers Timor), ici Trevor Howard joue son rôle de façon monolithique, borné et complexé. Tout le personnage se concentre sur sa mission dont il espère une bonne retombée sur sa carrière en cas de succès.
La superbe et amusante scène où il tourne autour du pot face à son second qui s'en amuse pour lui expliquer qu'il doit séduire la fille du roi de Tahiti :
"devenez l'amant de cette maudite fille du roi" s'attirant la suave réponse :
"Dois-je porter cette mission sur le livre du bord" "Si c'est au service de l'Angleterre, je ferai de mon mieux"


Marlon Brando joue le rôle de Fletcher Christian avec un personnage qui est un pur aristocrate qui n'hésite pas à tacler la balourdise du capitaine Bligh. Il faut le voir embarquer au départ de Portsmouth dans une tenue de dandy avec une superbe cape rouge et des manchettes en dentelle (fort peu réglementaires) accompagné de deux femmes (du même milieu) qu'il courtise et qui montent à bord sous l'œil éberlué de Bligh.
Même si au bout, cela revient au même, le personnage joué par Brando est plus complexe que celui joué par Clark Gable. En effet, le personnage joué par Brando finit non pas tant par se révolter contre Bligh mais par l'écraser de tout son mépris tout en sachant pertinemment qu'il se perd définitivement lui-même. Ses profonds états d'âme lors de l'arrivée sur l'île Pitcairn le conduiront à sa perte inéluctable.


Parmi les personnages de second plan, signalons la jeune Tarita qui joue le rôle de la fameuse fille du roi tahitien et qui deviendra l'épouse de Marlon Brando après le tournage…


Oui, au final, le film de Lewis Milestone l'emporte sur la version de Franck Lloyd de 1935 qui conserve des atouts notamment sur l'exhaustivité du scénario.
Mais les décors, les sublimes photographies du Bounty pris dans la tempête, les photos de l'île, des danses traditionnelles, la musique adaptée à chaque moment, transforment le film de Milestone en un superbe film d'aventures maritimes romantique.

JeanG55
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le 1 déc. 2021

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