A tous ceux qui pensent encore que L'Esquive n'est qu'un ramassis de clichés, Hélène Milano apporte une réponse cinglante en donnant à écouter la parole rarissime des filles de banlieue. L'occasion d'admirer dans toute leur splendeur les effets pervers d'une ghettoïsation elle-même bien perverse et sciemment organisée par l'Etat français depuis les années 60. Car même si le propos de Milano n'a absolument rien de politique, les jeunes filles qu'elle interroge montrent une réelle lucidité sur un système inégalitaire savamment entretenu qui interdit toute mixité et accentue les clivages de la société française.
Mais Les Roses Noires (jolie métaphore) s'évertue avant tout à décortiquer le microcosme banlieusard, et à comprendre quelle est la place des filles dans tout ça. Il en a fallu du courage aux jeunes Kahina, Djey Farida, Moufida, Coralie, Claudie et leurs consoeurs, pour s'adresser sans fard à la caméra, se confier avec autant de rage que d'humour sans se soucier de ce qu'en diraient leurs amis, leurs parents. Pour montrer à tous ceux qui les considèrent comme des attardées de seconde zone qu'en réalité elles appréhendent leur monde et la société avec intelligence, clairvoyance et finesse d'esprit. Pour expliquer à quel point la pression sociale pèse dans les banlieues plus qu'ailleurs sur les jeunes filles, qui en viennent à masquer leur féminité pour se préserver dans un contexte où les relations sociales sont codifiées et cloisonnées.
Il y a là un véritable appel à la libération féminine, en réaction à la violence morale omniprésente qui empêche ces jeunes d'assumer leur corps, leurs sentiments, leurs idées, leurs rêves, bref ce qu'elles sont. Un peu vieillot sur la forme, Les Roses Noires est en revanche à saluer pour son refus de tout moralisme ou sensationnalisme sur un sujet qui appelle à toutes les dérives. Il y a au contraire infiniment de pudeur, d'empathie, de délicatesse et d'honnêteté dans la démarche de Milano qui donne la parole à ces ados sans jamais la leur couper. Le message n'en est que plus fort, à leur image.