Vu sous une chaleur étouffante, une clim' en panne, sûrement, responsable de tous les maux. On oublie combien l'espace confiné d'une salle de cinéma peut devenir ce bunker inhospitalier, ce petit territoire conquis de gens perclus le temps d'un film, le temps du dernier film de Claire Denis, comme si la fiction tragique rejoignait la réalité dramatique. Ce film, c'est celui "pris sur le vif", il paraît, du moins c'est ce qu'on nous a rabâché, comme si la cinéaste, déjà partie assembler les membres probablement malades de son prochain projet en Inde, avait attendu l'avènement du numérique pour prendre ses films sur le vif. C'est dire ce qui précède ces Salauds, des siècles d’errements humains, des décennies de néant, des mois et des semaines de propagande cinématographique. Un héritage mortel, du film noir à la simple fiction misanthrope, auquel la cinéaste répond avec une énergie déconcertante, la rébellion d'une adolescente, dans tout ce qu'elle peut avoir de productive. C'est bien de ce battage humain que Les Salauds tire son souffle, souffle qui s’essouffle tristement face à la romance pataude supposée faire le lien avec l'humain, tout en lui assénant le coup de grâce. Vincent Lindon et Chiara Mastroianni en héros tragiques, sur le papier l'idée est belle, dans les faits on y voit surtout une courge s'éprendre d'un camionneur, d'autant plus pénible que la finalité toute de noir vêtue de cette attraction fatale ne fait pas le moindre doute. Bâillement convenu.

C'est en périphérie de l'amour qu'il faut aller chercher le propos de Claire Denis, qui tient dans le titre de son film, avant de l'en extirper de force. Témoin d'une déchéance humaine atroce, le spectateur pénètre dans le noir et avance à tâtons, butant ça-et-là sur Sade et ses malheurs de la vertu, sur Faulkner et ses putes, autant de points d'ancrage qui assure le romanesque d'une enquête finalement cousue de fil blanc - en un sens, tout le monde n'est-il pas coupable? La beauté est laissée en mer, d'autant qu'on sent combien le montage du film a été une souffrance. Ruptures de rythme, répétitions et faux-raccords contrebalancent une logique de mise en scène implacable à l'issue formellement ramassée. Une strate d'oppression de plus au conte morbide de Claire Denis, qui ne se laisse que rarement pénétré. Un accident sur toute la ligne peut-être, autant dans ces moments de grâce que dans ces égarements (les deux sont heureusement ou malheureusement nombreux), mais qui, tel un petit miracle, nous enseigne tout et son contraire: terriblement libre et affreusement monstrueux, Les Salauds parvient à faire émerger de la fange un soupçon d'humanité. Sans doute parce que les sentiments sont infiniment plus éclatants quand ils sont rares.
ClémentRL
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le 7 juil. 2013

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