Stanley Kubrick aime varier les plaisirs, c'est pourquoi durant toute sa carrière il passe d'un genre à un autre. Néanmoins, s'il y a un thème qui revient encore et toujours tout le long de sa filmographie, c'est un fort sentiment anti-guerre et cela n’aura jamais été plus vrai que dans Les Sentiers de la gloire. C'est l'occasion pour Stanley Kubrick de dénoncer la cruauté de la guerre, l'absurdité des combats, l'obstination de la hiérarchie militaire, l'étroitesse de vue des hauts gradés et leur absence d'humanité. Ce n'est que le troisième film du réalisateur, mais c'est considéré encore aujourd'hui comme son premier grand chef d'œuvre, bien avant 2001, Barry Lyndon et Orange Mécanique qui ne feront que confirmer son génie précoce.
Nous sommes en 1916 durant la grande guerre et les combats s'enlisent dans les tranchée. C'est alors que le général Mireau (George Macready) ordonne au 701ème régiment commandé par le colonel Dax (un Kirk Douglas dans la force de l’âge) de donner l’assaut pour reprendre une colline quasi imprenable, tenue par l’armée allemande. Devant l'échec de cette opération qu'on peut considérer comme une opération suicide, le général Mireau ordonne l'exécution de trois de ses hommes pour lâcheté face à l’ennemi. Alors que s'ouvre le procès militaire (un simulacre de procès), le colonel Dax sera la voix de la raison contre l’injustice.
Les Sentiers de la Gloire est autant une vitrine pour le jeu de Kirk Douglas, qu’un coup de maître pour le jeune Stanley Kubrick qui l’a adapté à l’écran. A l'origine, Les Sentiers de la Gloire est un roman basé sur des faits réels. Contrairement à son film précédent, L'Ultime Razzia (aka The Killing), un style de mise en scène commence à émerger. Un exemple notable est la scène dans laquelle le général Mireau visite les tranchées, marchant face à la caméra sur un long travelling arrière. Il utilise également le travelling horizontal pour suivre l'assaut des troupes commandées par le général Dax, un autre moment fort du film. Tout comme Alfred Hitchcock avant lui, Stanley Kubrick use et abuse du travelling (toutes sortes de travelling) et ceci pour notre plus grand plaisir. Cette technique de mise en scène sera répétée quasi à l'identique des années plus tard dans l’autre film de guerre de Kubrick, Full Metal Jacket. Il y a aussi un soin porté dans la disposition des objets dans le cadre, qui font allusion à son style ultérieur qui nous est plus familier. Son motif récurrent du labyrinthe et du plateau d’échecs apparaissent également. Les tranchées nous apparaissent comme un grand labyrinthe et durant la cour martiale, le sol est en damier avec les soldats jugés comme des pions sur le point d’être sacrifiés.
La lumière et la photo du film portent la marque du réalisateur et on sent déjà qu'il y porte un soin tout particulier. Le quartier général des officiers est lumineux et aéré, avec peu d’ombre. Au contraire, les tranchées sont sombres, étroites et exiguës. Stanley Kubrick travaille le contraste de l'image et résultat, le noir & blanc n'aura jamais été aussi beau qu'ici.
Le casting est absolument impeccable et bien qu’il n’y ait pas de grands noms, en dehors de la tête d'affiche Kirk Douglas, tous apportent leur pierre à l'édifice. Le désespoir et le ressentiment des soldats condamnés, ainsi que la suffisance et la fausse sympathie des officiers de la classe supérieure, sont brillamment incarnés et semblent absolument réels.
Rien à redire sur la musique du film. Le tambour de la marche funèbre instille un sentiment d’effroi ultime, d'autant plus que tous les plans du film sont montés au rythme du tambour. Dans la scène finale très émouvante dans le bar, nous obtenons le contre jeu complet du tambour militaire, avec un chant très mélodique. Cette scène finale a d’autant plus d’impact, que tout le long du film on n'entend que des tambours militaires.
Tout au long de sa carrière, Stanley Kubrick n’a jamais semblé particulièrement friand du cinéma porté sur les émotions. Les Sentiers de la gloire est peut-être la seule exception à la règle. Les dernières scènes avant l'exécution des trois soldats et la scène finale dans le bar (la cerise sur le gâteau) sont incroyablement poignantes et émouvantes. Dans Spartacus aussi, on peut retrouver des pointes de sentimentalisme dans certaines (rares) scènes du film. Mais par la suite, ses films se caractérisent tous pas la quasi absence de sentiments trop appuyés, d'où sa réputation de réalisateur froid.
Contrairement aux habitudes de Stanley Kubrick, qui aime faire durer le plaisir, Les Sentiers de la Gloire est très court en durée (moins d'une heure trente). Et malgré cette courte durée, le film souffre de quelques moments faibles. L'ouverture du film notamment, est lente et pas très bien rythmée, dix minutes qui font du surplace avant que Kirk Douglas n’apparaisse à l’écran et que les choses sérieuses commencent enfin.
Au final, Les Sentiers de la Gloire résiste très bien à l’examen du temps qui passe, grâce à la perfection de la mise en scène de Stanley Kubrick, à l’incroyable jeu des acteurs et à sa réflexion philosophique et psychologique.