A mon tour d'entrer en procès, et celui-ci ne sera pas politique mais respectera l'objectivité nécessaire à la justification d'une sentence. Elle sera lourde.
"Faites entrer l'accusé ! le film Les Sept de Chicago ! Au parquet, Monsieur le Procureur Roro-blochon. A la défense, Maître Roro-blochon. Le délibéré sera rendu par Monsieur le juge Roro-blochon."
Oui pour l'occasion, je m'évertuerai à être juge, parquet et avocat de la défense, dans le plus strict respect des règles de la procédure bolchévique. Le procès sera dur, marqué par une schizophrénie développée mais nécessaire à l'exercice qui consiste à réunir ces trois fonctions en une seule. Le jugement sera publié, et aucun droit d'appel n'est reconnu à l'accusé (oui l'infraction est grave...).
"Monsieur le long-métrage, vous êtes accusé de révisionnisme, militantisme primaire, et encourrez une peine allant jusqu'au placement dans mon étagère aux côtés de la série La Vague !"
Le procès provoqua la plus grande rage au sein du Tribunal de Macroningrad, qui paraissait d'autant plus au bord de l'explosion que son unique protagoniste s'exhortait à jouer ses rôles avec le plus d'application possible, mais n'intéressa que peu l'opinion publique, occupée à commenter la venue de Jennifer Lopez et Ben Affleck à Paris. Dans l'intérêt public, voici le jugement qui fut rendu par la cour d'assise de Macroningrad, non expurgé du jargon juridique si astringent et des lettres capitales qui ont tant la côte chez les hommes de loi.
"JUGEMENT DU TRIBUNAL DE MACRONINGRAD
prononcé publiquement le 29 juillet 2022,
DEMANDEUR
Ministère public, Monsieur le Procureur Roro-blochon,
DEFENDEUR
Monsieur le long-métrage Les Sept de Chicago (The Trial of the Chicago 7), représenté par Maître Roro-blochon,
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur Roro-blochon, juge
LE TRIBUNAL,
Attendu que le film Les Sept de Chicago met en scène le procès s'étant déroulé au Tribunal fédéral des Etats-Unis le 20 mars 1969 de 8 militants démocrates, accusés de conspiration en vue d'inciter la révolte et de violation des droits civiques lors de la convention démocrate de 1968 qui se tenait à Chicago, que dans un contexte d'émeutes multiples comptabilisées dans 125 villes du pays provoquées par l'assassinat de Monsieur Martin Luther King Junior, Chicago a été la proie, lors de l'année 1968, de violences particulières, marquées par des pillages, agressions et incendies criminels, qui ont motivé l'interdiction de la manifestation du 28 août 1968, prononcée par le maire de la commune, Monsieur Richard Delay ; que malgré l'interdiction, les accusés ont organisé et maintenu une manifestation d'opposition à la guerre du Vietnam alors en cours et au président des Etats-Unis alors en exercice, Monsieur Lyndon Johnson, que ladite manifestation comprenait 10 000 personnes, que celle-ci a perturbé la convention démocrate par des actes de violence à l'encontre des forces de l'ordre, des actes d'immoralité publique notoire, de débordements en tout genre propres à une manifestation de cette envergure et des atteintes caractérisées à l'ordre public, que les forces de l'ordre ont répondu par une violence disproportionnée ; que les organisateurs de la manifestation ont, quelque temps après l'élection du Président Nixon, fait l'objet de poursuites du chef de conspiration en vue d'inciter à la révolte, et de violation des droits civiques ;
Attendu que le film documente les évènements et le procès susmentionné ; qu'il propose tout d'abord une vision caricaturale du procès, en ce qu'il minimise d'une part les actes d'irrespect envers la justice ayant été commis lors du procès par les accusés, afin de lisser leur image et les rendre sympathiques par leur humour, et en ce qu'il montre d'autre part une image faussée de l'engouement populaire qu'il pouvait y avoir pour les accusés, pour beaucoup issus de milieux contestataires et marginaux, et dont on peut légitimement douter que l'ensemble de l'opinion publique, qui venait d'élire un président républicain, ait soutenu leur position lors de ce procès ; que le fait de donner une image assez nuancée du magistrat, soucieux du respect la procédure dans un premier temps, mais devenant malgré tout plus caricatural à mesure que le film avance, n'est pas de nature à racheter les errements du film ; que le film ne met en scène que le procès des huit accusés, alors que le parquet avait historiquement poursuivi des policiers pour violences policières, élément non montré dans le film, qui diffuse une image totalement manipulée du procès ; qu'il donne en outre une vision fantasmée de la manifestation et des mouvements politiques à l'œuvre, par des recours à des artifices visuels pour dresser une image totalement biaisée des évènements ayant eu lieu lors de la manifestation du 28 août 1968, comme le fait de montrer uniquement des policiers porter des coups lors des affrontements avec les manifestants, sans qu'à aucun moment un manifestant soit filmé en train donner un quelconque coup, ou faire le moindre geste obscène ; que les quatre seuls opposants politiques républicains croisant la manifestations ont pour seul rôle de renforcer artificiellement la sympathie du public pour les manifestants en dépit du bon sens et par une caricature des plus médiocre, puisque lesdits républicains blonds aux yeux bleus sont uniquement montrés en train d'invectiver une jeune fille mineure à "retourner à la cuisine", puis de la projeter au sol et de la déshabiller pour la violer, avant d'être chassés par le grand cœur de l'un des accusés ; qu'est montrée l'image d'une manifestation pacifique, amicale et civique, dont le seul acte de violence non montré à l'écran réside dans une incompréhension d'un ordre donné par l'un des accusés organisateur de la manifestation, qui, face à la foule, scande "le sang coulera sur le sol !", parlant de celui des manifestants battus par la police, tandis que la foule pensait qu'il s'agissait d'un appel à faire couler le sang des policiers, justifiant ainsi la charge des manifestants contre la police non par une invective volontaire des organisateurs mais par une incompréhension par la foule du message scandé, construisant ainsi une image sympathique, pacifique, tolérante, inclusive et légitime des manifestants et surtout de ses organisateurs, en opposition totale avec la représentation des policiers, qui sont montrés violents et sans pitié, tous par ailleurs de couleur blanche, en opposition aux accusés dont les origines sont diverses ; qu'il est d'autant plus drôle de constater que sur les quelques images historiques diffusées dans le film, l'on voit un policier noir se battre contre un manifestant ;
Attendu que le film, soulevant le sujet très intéressant des différentes formes de militantismes, en ce qu'il fait soutenir l'un des prévenus, Eddie Redmayne, que le militantisme ne doit pas faire l'économie du respect des institutions, et que même si des idées fortes sont portées, elles doivent l'être de manière pacifique, dans le respect dû aux autorités, et qu'un tel mode de militantisme est essentiel afin d'obtenir des victoires électorales essentielles à l'avancées des idées défendues ; qu'il fait soutenir un autre prévenu, Abbie Hoffman, qu'il est essentiel de ne pas jouer le jeu du système et que vouloir l'intégrer, c'est faire baisser la voix nécessaire à la propagation de l'idée défendue, et donc tirer une croix sur ses convictions ; qu'en se limitant à quelques échanges éparses alors qu'il aurait été de bon ton de développer ce débat entre les personnages, le film ne traite le sujet que très superficiellement ; qu'il le conclue de la pire des façons simulant le changement d'avis de Eddie Redmayne d'une façon peu convaincante, faisant perdre tout intérêt à la question posée à l'origine, et partant, enterrant davantage le peu d'intérêt qu'il pouvait avoir ;
Attendu que le film pose également la question de la légitimité du procès politique, et des nuances qu'il peut avoir avec le procès civil ou pénal ; que s'il a le mérite de poser cette question, il n'y répond absolument pas et prend le parti unilatéral et non motivé de placer le procès dans la catégorie des procès politiques, en excluant d'entrée qu'il puisse être également légitime de juger des individus ayant poussé des milliers de personnes à l'émeute, quand bien même un tel procès servirait le pouvoir en place ; que l'absence criante de nuance autour de la question laisse un sentiment d'inachevé chez le spectateur, et atteint davantage encore la crédibilité globale du film ;
Attendu enfin que le film aurait gagné, pour donner davantage de profondeur au procès, qu'il s'évertue pourtant à représenter, à mettre davantage en avant l'éloquence des avocats ou les stratégies qu'ils mettent en place dans une telle situation ; qu'il aurait également pu montrer l'hésitation des jurés dans leur choix face au dilemme que présente un procès très politique, ou encore détailler en quoi ce procès fut inique, puisque s'il a pour objet de montrer qu'il le fut, c'est en créant un sentiment d'injustice, subie par les prévenus, chez le spectateur, par les artifices déloyaux susmentionnés, tandis qu'il aurait pu montrer concrètement en quoi, au cours des débats, le procès fut effectivement tendancieux ; qu'hormis l'épisode de la perte d'impartialité de l'un des jurés, qui, après avoir reçu une lettre de menace de mort prétendument de la part d'un Black Panther, groupuscule ultra violent présent à l'audience et soutien des prévenus, l'a en fait reçue d'un procureur peu scrupuleux pour qu'il se désiste du fait d'avoir perdu son impartialité, le sujet du bras de fer qu'il pouvait exister entre les avocats de la défense et le ministère public n'est absolument pas traité ; que cela est dommageable en ce qu'il aurait été très intéressant et frustrant de voir des avocats compétents lutter contre une armada judiciaire, dépassant le pouvoir du Président de l'audience, manipulée par le Ministre de la Justice lui-même, et s'écraser face à sa puissance ;
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement
contradictoire et en premier et dernier ressort,
DECLARE le long-métrage Les Sept de Chicago partial, superficiel, coupable de révisionnisme et de militantisme exacerbé,
CONDAMNE le long-métrage Les Sept de Chicago à la réclusion criminelle à perpétuité dans mon armoire dédiée au films de merde."