Quel dommage ! Nous étions si près d'avoir un film traitant de la sorcellerie qui abordait ce sujet sous le prisme du féminisme, car comme l'explique Mona Chollet dans son passionnant essai "sorcières la puissance invaincue des femmes" si dans l'histoire, notamment les procès en sorcellerie qui ont entachés l'Europe, c'est bel et bien l'indépendance, les savoirs, la puissance sexuelle de la femme qui reste le fond véritable de ces purifications sanglantes orchestrées par une église patriarcale et fondamentalement misogyne.


Choisir comme théâtre des faits narrés dans le film, le pays basque et plus particulièrement la ville de Zugarramurdi, n'est pas non plus complètement innocent, d'une part le pays basque regorge de légendes et mythes autour de la figure de la sorcière et cette commune en particulier a été le lieu de procès célèbres initiés par l'inquisition où des femmes de tous les âges ont été condamnées au bûcher pour soit disant des sabbats et autres faits de sorcelleries qui auraient pris place dans les grottes de la ville.


D'ailleurs chaque année au moment du solstice d'été, ces grottes sont le lieu de fêtes hallucinantes, que je vous souhaite de vivre au moins une fois et idéalement avec des gens du coin pour pleinement en profiter.


Mais au delà de ce côté folklorique et finalement anecdotique, la sorcière dans la geste basque compte parmi les plus féministes en occident, féministe non pas dans l'acception contemporaine d'un désir, d'une soif d'égalité mais dans une volonté d'émancipation et d'indépendance. Un féminisme qui pour caricaturer visait à faire des savoirs féminins des atouts pour la communauté et non plus des sources de conflits, incluant notamment des connaissances en phytothérapie, en anatomie et tant d'autres que l'église réprouvait.


Álex de la IGLESIA prend le parti plutôt intéressant et pertinent d'aborder son thème sous l'angle de la farce grotesque, grotesque étant ici à comprendre dans sa définition d'un théâtre de la caricature, du trop, de l'excès. Cela lui permet d'exprimer au travers d'une direction artistique clairement jubilatoire et formellement accomplie l'envie d'un film divertissant. Les effets spéciaux ont une réalité palpable qui moi me réjouit, on sent les maquillages, les câbles, les trucages en vrai, le "big boss" qui vient conclure l'un des arcs de la narration existe dans l'univers dépeint et quoi qu'on puisse penser des effets numériques c'est tangibilité remporte définitivement ma préférence.


Hélas là où pour moi le film échoue c'est dans son développement des sorcières. Il laisse croire dans un premier temps qu'il travaille l'idée de l'inversion accusatoire, à savoir faire de ces femmes accusées de tous les maux, libido exacerbée, vénalité, cruauté, des femmes effectivement caractérisables par ces poncifs, une idée que reprendra un autre film de sorcières au pays basque, le nettement plus réussi Les sorcières d'Akelarre (2020) dans lequel elles prétendent effectivement être coupables pour mieux démonter et démontrer l'inanité de l'accusation.


Ici il n'en est rien, à force de présenter cette famille matriarcale de sorcières comme des folles, hystériques, vénales, assoiffées de pouvoir, on finit par faire d'un projet féministe un truc foncièrement misogyne et assez odieux. Et puis comme il faut bien appuyer l'idéologie absurde que la femme ne peut rien sans l'homme, la plus jeune cède aux sirènes de l'amour, mais d'un amour marqué par la domination patriarcale.


Quel dommage ! Une écriture moins idiote, plus féminine et nous aurions eu un excellent film d'exploitation, fondamentalement divertissant et réjouissant, vecteur d'un discours progressiste et féministe moderne et non pas un film qui tient ses qualités artistiques mais s'écroule dans un discours arriéré, machiste, déprimant.

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le 24 févr. 2023

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