Quelques heures de printemps.
Si les films tire-larmes, les mélodrames et autres larmoyances vous agacent, si la sobriété, la retenue des sentiments ou encore la prise en charge de l'émotion sont pour vous fondamentaux, alors "Les témoins", vous réconciliera avec le cinéma dramatique. Etre témoin d'un événement c'est en être détaché tout en y étant impliqué que ce soit physiquement ou psychologiquement. C'est assister, incapables d'agir, à la lente agonie de quelqu'un qui souffre sans qu'on puisse l'aider. Ici, c'est le détachement qui prime pour chaque personnage. Que ce soit Julie, la sœur, qui vit à l'hotel et pense plus à sa voix, qu'à son frère ou encore du couple formé par Sarah et Medhi qui revendiquent leurs infidélités, en passant par Adrien qui s'attache mais passe d'un jeune homme à l'autre sans trop réfléchir finalement, il y a là une chronique complète du détachement. Et, au centre, Manu. Jeune, sûr de lui, insouciant, dragueur. Il va dans les fourrés à la manière, moins voyeuriste, d'un "Inconnu du lac". Ce personnage, qui agace d'abord, frivole, volage, se jouant d'un homme qui l'aime, puis couchant avec un autre, marié et père, devient le symbole d'une déchéance injuste.
Manu fait l'expérience de la découverte du sida qui détruit un corps autrefois si désirable, si plein de vie, d'amour. Manu prenait comme on s'aime, sans jamais comprendre ce qui se passait réellement. Ce sont quelques tâches sur son corps découvertes un soir de rupture qui feront de sa vie un enfer, de son corps une souffrance. Il ne dira rien, et autour de lui, on s'afférera à se le réapproprier, à le faire histoire, par le biais de sa vie qu'il confie à des magnétophones. Ce sont des êtres en marge (l'homosexuel, la prostituée) qui sont ciblés ici comme ayant le sida et dont une société atterrée assiste à la mort, presque inévitable. C'est nouveau et ça fait peur, ça tort le ventre.
André Téchiné a choisit pour ce film à la différence d'un film comme Philadelphia, de ne pas montrer de scènes de déchéance à l’hôpital, de ne pas même filmer la mort, qui reste un choix du malade. Le film se tient du point de vue de quelques personnages qui gravitent plus ou moins amoureusement autour de Manu. Ce sont des témoins de sa vie, et ils continuent la leur, une fois l'être (aimé) disparu. Il ne reste qu'un souvenir, qu'une voix dans un magnétophone, un personnage dans un livre. Mais pour nous spectateurs qui sommes aussi témoins, ça devient bouleversant. On est figé sur son siège, découvrant que tout est passé si vite, que la vie a filé, que tous se déchirent, que rien ne se résout et qu'ils font semblant d'essayer. Que la présence d'un être dans une vie, qu'importe le temps qu'il reste, est un ouragan. Il dévaste tout, à l'image du sida, traité ici de manière nerveuse et avec retenue, qui emporte la jeunesse, la fougue, l'envie et devient le mal invisible qui s'infiltre et ne se déclare qu'une fois bien installé. Quand c'est trop tard, qu'on ne peut plus qu'être témoins de ses actions, impuissants et anéantis.
Tout recommence pour eux dans un bateau, mais pour nous qui croyions naïvement que rien ne pouvait nous atteindre, c'est une autre affaire, l'émotion l'emporte là où on ne l'attendait pas, fébrile.