Dernier film de Chaplin avant le début de la deuxième guerre mondiale, "les Temps Modernes" dépasse le drame individuel et annonce la tragédie sociale : ce n'est plus seulement de la destinée d’un homme dont parle Chaplin, mais c'est un système tout entier qu'il dénonce. Cri de révolte muet - même s'il est sonore - (Chaplin l'a voulu ainsi, 10 ans après l'invention du cinéma parlant), contre la sauvagerie du capitalisme, assisté dans ses basses œuvres par la machine policière, inhumaine et répressive, "les Temps Modernes" raconte le drame du "petit homme" affrontant en permanence la prison et le chômage, fondamentalement menacé d'avilissement et d’anéantissement.
Si l'on associe la plupart du temps "les Temps Modernes" à ses premières séquences, dans lesquelles Chaplin symbolise à la perfection l'asservissement de l'homme à la machine, on oublie que le film regorge de scènes mémorables, hilarantes (le patinage dans le grand magasin, le restaurant où l'on danse) ou cruelles (les épreuves subies par la sublime Paulette Goddard, orpheline rebelle). En dépit de sa construction scénaristique un peu lâche, "les Temps Modernes" reste l'une des plus mémorables odes à l'homme ordinaire, et en tous cas l'une des plus désespérées (car il n'est pas sûr que le génial plan final soit réellement porteur d'espoir...).
Revoir en 2021 ce réquisitoire politique sur la déshumanisation qui se profilait déjà à l'époque dans la société "moderne", s'exprimant par le chemin de l’art le plus accessible aux spectateurs de toutes les époques, celui de la comédie populaire et de la pantomime, alors que le monde continue à s'enfoncer dans une crise encore plus grave que celle dépeinte par Chaplin, permet d'en percevoir son absolue actualité, et de savourer l'amère ironie de son titre.
[Critique écrite en 2021, à partir de notes prises en 2010]