Merzak Allouache raconte Alger aujourd’hui depuis cinq terrasses qui dominent la ville ouverte sur la Méditerranée, dans différents quartiers. Cinq terrasses dans cinq quartiers, pour cinq histoires, en une journée, d’hommes et de femmes d’Alger, rythmées par les cinq prières de l’Islam, de l’aube légère pour la plupart, au cœur sombre de la nuit.
Il y a de belles choses dans le cinéma de Merzak Allouache, un humanisme et une ouverture sur l’autre qui m’ont marqué, et plu, dans les quelques films que j’ai pu voir. Mais je lui découvre une belle image, naturelle et éclatante de bout en bout, celle du directeur de la photographie Frédéric Derrien. Ici, les portraits sont beaux, les visages filmés au plus près pour saisir au mieux les regards. La ville aussi est sublimée par ce point de vue, depuis les terrasses, surélevé, avec de nombreuses vues d’ensemble offrant à voir un panorama ensoleillé sur une mer bleue jusqu’à un horizon dont les personnages rêvent, mais qu’ils n’atteignent jamais. Mais ses personnages, Merzak Allouache ne les jugent pas, et malgré les essoufflements et les chutes, Alger resplendit, vivante d’innombrables espoirs. Et garde même cette magie de lumière jusqu’à la nuit, qui la voit s’illuminer de mille sources de vies.
Il y a ce défaut (cette mode ?) de ne pas lier les différentes histoires. De prendre une heure et demie pour mêler cinq histoires qui ne se recoupent pas, ne se percutent pas, n’interfèrent pas l’une avec l’autre. Ou je n’ai pas saisi l’écho profond. Merzak Allouache peint sa ville mais les habitants de ses histoires ne s’y rencontrent pas, ils vivent en microcosmes clos, sans interaction. Est-ce le monde d’aujourd’hui ? Est-ce Alger aujourd’hui ?
Les musiciens d’un côté, les fondamentalistes de l’autre, les petits trafiquants dans leur coin et les gros magouilleurs plus indépendants, et libres ? Le tableau nourrit des questionnements sur les sociétés contemporaines gagnées par la mondialisation. Alger à nos portes, souffre des mêmes maux et des mêmes interrogations que les quartiers d’Europe. La jeunesse n’y est pas plus perdue, ni plus heureuse, mais tout autant dans le doute et l’expectative que la jeunesse européenne, et Les Terrasses ressemble alors à un pont fraternel sur lequel le réalisateur nous invite à venir voir chez lui ce que nous ne voulons voir chez nous. Tout en douceur.
Matthieu Marsan-Bacheré