Je sais maintenant où les maîtres du film de kung-fu hongkongais ont trouvé leur vocation : dans cette adaptation de 1948 du chef-d'œuvre d'Alexandre Dumas, signée George Sidney. Enfin, plus précisément dans l'interprétation que livre Gene Kelly du personnage de d'Artagnan ! Virevoltant, ne manquant jamais une occasion de se balancer à un lustre, de sauter par-dessus une table ou d'escalader une muraille en deux temps trois mouvements, l'acteur livre une prestation tout bonnement ahurissante. Sportif et danseur accompli, il subjugue littéralement adversaires et téléspectateurs par sa capacité à bondir, feinter et esquiver, entre deux coups de taille ou d'estoc portés dans de grands éclats de rire. L'utilisation astucieuse des décors et du mobilier ne manque pas d'évoquer Jackie Chan, et la mise en scène parfaitement chorégraphiée des nombreux combats qu'offre le film prouve que Yuen Woo-ping n'a rien inventé. Ajoutez à cela un visage et un sourire rappelant curieusement Jean Dujardin dans les OSS 117, et vous obtenez cette interprétation étonnante et absolument jubilatoire du plus célèbre mousquetaire de toute la littérature !
Car, il faut bien le dire, une grande partie du film repose sur les épaules du cadet de Gascogne, remarquablement secondé par Van Heflin en Athos alcoolique et tourmenté, Vincent Price en cardinal de Richelieu comploteur et manipulateur, et Lana Turner en séduisante et vénéneuse Milady de Winter. Si l'adaptation du roman est fidèle, elle est évidemment lacunaire, puisque le bouquin fait 700 pages et le film 2 heures seulement. Du début à la fin, le rythme est donc endiablé, sans temps mort : baston, dialogue, mélo, baston, dialogue, mélo, on ne s'ennuie pas un seul instant ! On peut bien sûr regretter que Porthos et Aramis soient réduits au rang de faire-valoir, mais il aurait fallu pour leur rendre pleinement justice produire une saison en 12 épisodes d'une heure et demie, concept qui à l'époque était sans doute moins en vogue que de nos jours.
Réputée comme la meilleure parmi la grosse demi-douzaine produite par Hollywood, cette version des Trois Mousquetaires a aussi le mérite de ne pas se prendre trop au sérieux. Ou alors, peut-être est-ce une impression due au décalage générationnel ? En tous cas, on ne peut s'empêcher de pouffer en voyant ce quatuor de mousquetaires plus franchouillards que français, ponctuant chaque phrase d'un grand éclat de rire, et chaque éclat de rire de grandes claques dans le dos ! On ne peut s'empêcher de ricaner devant ces acteurs américains forçant l'accent pour interpréter des Français tentant de se faire passer pour des Anglais ! Par ses combats, par ses dialogues, par ses costumes et ses décors kitschouilles, le film est donc particulièrement savoureux dans le registre comique. Mais les scènes dramatiques, notamment la confrontation finale entre Athos et Milady, sont également très réussies, et renforcent la crédibilité du film. Au final, on ne voit vraiment pas passer les deux heures de bobine. Superbe divertissement familial, ces Trois Mousquetaires n'ont, près de 70 ans après leur sortie, rien perdu de leur panache.